Joséphine Faisant → 25 octobre 2021
La jeune étudiante d’Amsterdam, à peine 20 ans, décide de réagir à un phénomène nauséabond et malheureusement quotidien : le harcèlement de rue. C’est après un voyage en métro particulièrement pénible que Noa Jansma a décidé de réagir en image à ces interpellations quotidiennes. Elle se souvient avoir été désemparée par son incapacité à agir face aux injures de deux jeunes assis à ses côtés qui, de surcroît, prenaient malin plaisir à filmer la scène. Feindre la plus glaciale indifférence est souvent la solution la plus radicale que l’on parvient à adopter sur le moment. Noa Jansma en a eu assez de se voir déposséder de toute réaction. Comme de nombreuses femmes le savent déjà, la réponse adéquate est difficile à trouver. Bien souvent, en réagissant à la hauteur de l’insulte on se retrouve à donner au harceleur, surpris de la conséquence de ses actes, un rôle de victime. Ne rien dire pour ne pas s’abaisser à un tel niveau n’est jamais entièrement satisfaisant. Il y a des moments où l’on ne trouve plus la sérénité qu’il faut pour laisser place à une attitude indifférente. Des moments où l’on a envie de leur rendre le coup, de leur faire sentir que ces paroles ont l’effet de miasmes particulièrement nauséabonds. L’étudiante de 20 ans a ainsi trouvé dans le médium du selfie, à travers le poids de l’image, la restitution de sa dignité et de son pouvoir.
La réponse par l’image
« Souvent, les femmes ne savent pas répondre à un commentaire sexiste. Poursuivre sa route semble être la seule solution, mais cela n’a aucune conséquence pour les harceleurs. Parfois, je leur faisais un doigt d’honneur, mais je me sentais bête après. Je voulais faire quelque chose qui me donne du pouvoir sur eux. » Ses propos recueillis sur Red Pers.
Ainsi elle a décidé de poster pendant un mois sur Instagram les selfies obtenus avec les différents harceleurs rencontrés péniblement au cours de septembre 2017. Le compte sur lequel elle compile ces photos prises sur le vif s’appelle « Dear Catcallers » (Chers harceleurs) et elle décrit sa démarche ainsi : « L’objectif de ce compte Instagram est de sensibiliser à l’objectification des femmes au quotidien. Puisque beaucoup de personnes ne savent toujours pas avec quelle fréquence et dans quel contexte le harcèlement a lieu, je montrerai mes harceleurs pendant un mois entier. »
La jeune femme explique qu’au début elle a beaucoup hésité, elle n’arrivait pas à franchir le pas de sortir son téléphone et faire ce fameux selfie. Contre toute attente, lorsqu’elle a enfin réussi à demander une photo avec celui qui venait tout juste de l’interpeller avec une panoplie de propos indécents, la réaction de ce dernier fut enthousiaste. Tout le problème est là. Sous prétexte qu’une femme leur plaît, ces individus à la logorrhée décomplexée sont souvent convaincus qu’ils ne font rien de mal. Exprimer son attirance pour la gente féminine n’a rien de mauvais mais la frontière entre l’intention de flatter et le manque de respect semble échapper à de nombreuses personnes.
Un phénomène aux contours flous
Le harcèlement de rue ne figure pas parmi les comportements interdits par la loi. Ce phénomène jouit ainsi d’une nébuleuse qui le rend assez abstrait pour laisser ses responsables s’aveugler quant à leurs propres comportements inacceptables. La gravité du phénomène nécessite une interdiction dissuasive pour culpabiliser ceux qui croient jouer de leur charisme avec des remarques injuriantes envers les femmes qui croisent leur chemin. L’express a mis en ligne un tutoriel pour distinguer la drague du harcèlement1. Si cela peut sembler trivial pour certains, cette distinction n’est pas évidente pour tous.
La photo est une réponse habile au harcèlement. Elle permet d’obtenir une trace de ce moment pénible voire angoissant, mais surtout aussi elle met en avant un élément frappant, à savoir le contraste entre les expressions des deux visages. Sur chaque photo la jeune femme a le regard sombre et désabusé tandis que ces harceleurs sont enjoués. C’est ce qu’elle a voulu souligner avec son slogan « This is not a compliment ». L’enthousiasme manifeste des hommes photographiés montre qu’ils sont dans une autre réalité, celle où manquer de respect à une femme est normal, voire même amusant et séduisant. En fait, leur réalité n’est pas très éloignée du droit étant donné l’inefficacité juridique en la matière.
Il est grand temps que la loi offre une protection aux femmes et surtout une inscription dans la réalité au phénomène qui sévit au quotidien. La secrétaire d’État à l’Égalité, Mme Marlène Schiappa, a réagi sur BFM mardi 17 octobre en annonçant le projet de faire sortir le harcèlement de rue de la zone grise juridictionnelle en lui donnant une définition légale. L’objectif repose sur une verbalisation directe de ces comportements grâce à une police de patrouille de proximité. L’idée est honorable d’après les collectifs Paye ta Shnek et Stop Harcèlement de rue mais pourtant irréalisable notamment en raison des conditions requises pour que le policier puisse verbaliser. Si l’efficacité de cette patrouille n’est pas évidente aux yeux de tous, néanmoins une définition légale aurait un poids symbolique non négligeable pour mettre fin à leur ignorance décomplexante. En effet, l’interdiction a un pouvoir dissuasif qui pourrait au moins stopper l’expansion du phénomène et l’aveuglement qui l’entoure.
Ainsi, malgré les belles paroles de la secrétaire d’État, la concrétisation de la réponse juridique n’est pas aboutie ni même en cours. Le harcèlement de rue a encore de beaux jours devant lui, porté par de nombreux représentants qui ne cessent de croire qu’ils ne font que répondre au jeu de la séduction.
La séduction : un échange bilatéral
Les photos du compte DearCatcallers permettent de pointer une des sources du problème : l’absence de consentement. En effet, on voit ainsi grâce à la réunion de ces deux visages sur le selfie le décalage émotionnel qui gouverne l’instant. L’un croit être dans un rapport de séduction tandis que l’autre est de marbre, figé dans son refus. Elle demande de faire un selfie avec eux et ils sont ravis car ils pensent que c’est la suite logique de leur interpellation dégradante.
Ces photos viennent rappeler la base de la séduction, à savoir un échange bilatéral qui se construit avec une intention commune. Être séduite ou séduire n’a rien à voir avec ce que subissent des milliers de femmes chaque jour dans les rues, sur les quais, dans les rames de métro, dans les files d’attentes, au travail, au cinéma, au restaurant… Bref partout. La démarche de Noa permet de sensibiliser sur l’absence de consentement et donc le caractère oppressant, humiliant voire même angoissant des comportements de ceux qu’elle affiche sur ce compte Instagram. Les selfies avec ces hommes ainsi rendus publics permettent de sortir le phénomène de son nuage épais qui le protège. Non ce n’est pas un compliment, tel est son slogan et elle a bien raison. Ce laxisme incohérent qui laisse les femmes se débrouiller avec un phénomène nuisant à leur liberté chaque jour doit cesser. Son compte prend une forme de dénonciation publique et tant mieux car il est temps que ces situations sortent de l’ignorance générale, et ne soient plus digérées individuellement par les victimes. En effet, il ne s’agit pas uniquement d’ouvrir les yeux de ceux qui agissent ainsi, mais aussi ceux de leurs victimes, et des témoins. Chacun et chacune assiste à de telles scènes, et le succès que rencontre le projet de la jeune danoise permet de ne plus choisir l’indifférence comme unique réaction.
© Collage de Joséphine Faisant sur photographies libres de droits.
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