LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Brésil : quels droits pour les peuples autochtones ?

Véridiana Mathieu, contributrice de l'aaatelier revient sur les droits spécifiques aux peuples autochtones au Brésil, pays où ils sont en partie présents, alors même que ces derniers mois d'importants incendies survenaient dans la forêt amazonienne, ayant un impact direct sur ces personnes.

et → 13 mai 2020

Nous avons en effet entendu parler ces derniers mois des incendies dans la forêt amazonienne et de leurs conséquences dramatiques pour le climat, mais également pour ses habitant.e.s, les peuples autochtones. Or une grande partie de l’Amazonie se trouve au Brésil, où vit une part des peuples autochtones du pays, même si ils.elles sont présent.e.s sur tout le territoire brésilien et sont estimé.e.s aujourd’hui à environ 800 000 personnes composant 225 tribus, représentant 0.4% de la population brésilienne 1.

Qu’est-ce qu’une personne autochtone ? 

Le mot « autochtone » provient du grec ancien « autókhthônos », composé de autós, qui signifie soi-même et de khthôn, qui signifie la terre. Ainsi une personne autochtone est une personne originaire du lieu où elle vit et dont les ancêtres sont également originaires de ce lieu. 

Certain.e.s vivent dans des milieux urbains, ce qui est le cas pour un nombre croissant de groupes, et d’autres sont totalement isolé.e.s, c’est-à-dire qu’ils.elles n’ont aucun contact avec le reste de la société, ce que l’on estime être le cas pour environ 70 tribus présentes en Amazonie. Ces groupes sont variés, par exemple, plus de 200 langues autochtones ont été identifiées au Brésil.

Le fait d’être autochtones accorde à ces individus et groupes des droits spécifiques et collectifs, reconnus par l’État brésilien. Cependant, ces droits sont encore trop souvent bafoués et ces communautés se battent sans relâche pour le respect de ceux-ci, parfois au dépend de leur vie. En effet, le Brésil est un des pays où le plus de défenseur.e.s des droits des peuples autochtones et droit à la terre sont assassinés.e. Selon l’ONG Global Witness, 57 d’entre eux ont été assassiné.e.s en 2017. Le pays est aujourd’hui l’un des pays les plus dangereux pour les défenseur.e.s des droits des peuples autochtones. 

Quels sont donc ces droits que les peuples autochtones du Brésil défendent ?

Des droits pour survivre

Ces droits ont été reconnus tardivement par l’État brésilien, dans les années 1990. Il est important de rappeler que les peuples autochtones sont les premier.e.s habitant.e.s du territoire que nous connaissons aujourd’hui comme le Brésil. On estime à 3 millions le nombre d’autochtones avant l’arrivée des colons portugais en 1500, même s’il est difficile d’établir le nombre exacte d’autochtones au Brésil avant2La colonisation a été un processus d’une extrême violence : une partie des peuples autochtones a été décimée dès l’arrivée des colons par les maladies rapportées d’Europe, mais ceux.celles-ci ont surtout été victimes de massacres de masse, d’abus sexuels, de torture, d’esclavage et de spoliation de terre pendant la colonisation et les siècles qui s’en suivirent. Entre 1500 et les années 1970 les peuples autochtones, et notamment des tribus entières, ne cessent de disparaître, atteignant un point où leur extinction totale était considérée par certains chercheurs comme pratiquement inévitable. L’anthropologue brésilien Darcy Ribeiro avait d’ailleurs estimé dans les années 1970 que d’ici 1980 les populations autochtones auraient complètement disparu au Brésil si la situation restait inchangée.

La prise de conscience de ces crimes au niveau national et mondial dans les années 1970, mit en évidence la nécessité urgente de renforcer la protection des peuples autochtones, ce qui a entraîné de minces progrès. Un des plus significatif fut la création de la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI), chargée de promouvoir et protéger les droits des peuples autochtones du Brésil…

En effet, la survie des peuples autochtones n’était envisagée jusque-là que par leur assimilation au reste de la société. Dans un esprit encore colonialiste, ceux.celles-ci ne pouvaient avoir d’autre choix que de s’intégrer, en abandonnant leurs croyances, leurs coutumes, leurs langues sans pouvoir décider de leur mode de vie. La nécessité d’une reconnaissance juridique de leurs coutumes et de leurs terres se révèle donc indispensable.

Des droits « d’origine »

C’est en 1988, grâce à la lutte de ces peuples, que la conception de leurs droits prit un nouveau tournant au Brésil. Avec la promulgation de la Constitution de 1988, toujours en vigueur aujourd’hui, l’État reconnaît pour la première fois que les « indiens »3 ont des droits spécifiques, du fait d’être les premier.e.s habitant.e.s du Brésil, existant avant même la création de l’Etat. C’est ce qui est appelé de façon complètement innovante, des droits « d’origine » (originarios). Voici quelques exemples de leurs droits les plus fondamentaux.

Un droit important qui leur est reconnu, car c’est le premier à être menacé et qui est aujourd’hui la principale cause de conflits violents, est le droit à la terre car leurs droits fonciers sont collectifs et non pas individuels. En effet, la Constitution brésilienne reconnaît que les territoires qu’ils.elles occupent traditionnellement leur appartiennent indépendamment de toute reconnaissance officielle. C’est un droit « d’origine » car ils.elles étaient les premier.e.s occupant.e.s de ces terres. Il est de la responsabilité de l’État de les protéger par le biais de décrets présidentiels, c’est ce que l’on appelle la « démarcation des terres ».

Ils.elles ont également le droit à la différence, c’est-à-dire que leurs organisations sociales doivent être respectées ainsi que leurs croyances, coutumes et langues.

Ils.elles ont aussi le droit de mener une vie totalement isolée du reste de la société si ils.elles le souhaitent. Tout contact avec ces populations isolées est donc interdit et punit par la loi.

Les ressources naturelles présentent sur ces territoires leur appartiennent également. Toute exploitation de ces ressources par l’État doit se réaliser, ou non, à la suite d’une consultation de ces populations et à un vote par le Congrès national (l’assemblée nationale brésilienne). Dans ce cas, les peuples autochtones concernés doivent obligatoirement avoir l’usufruit d’une partie des revenus de l’exploitation de ces ressources.

Attention, avoir des droits spécifiques n’exclut pas le fait d’avoir les mêmes droits que tout.e citoyen.ne brésilien.ne, sur l’ensemble du territoire national. Ils.elles ont par exemple accès à la justice comme tout.e autre citoyen.ne. Ils.elles doivent aussi avoir accès à la santé et à l’éducation. Ainsi ils.elles ont droit à une éducation interculturelle, multilingue et communautaire par exemple.

Ces mêmes droits sont doublement protégés par une déclaration internationale adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2007, c’est-à-dire adoptée par tous les pays membres (Déclaration à retrouver : ici). Bien que cette déclaration ne soit pas contraignante, son adoption traduit la reconnaissance par les pays de l’ONU de ces droits, même pour ceux qui n’auraient pas adopté de lois au niveau national. 

Pour conclure…

Nous avons parlé ici du cas spécifique du Brésil, mais il est important de souligner que ces droits devraient être reconnus et respectés pour tous les peuples autochtones dans le monde, ce qui est encore loin d’être le cas.

Reconnaître les droits des peuples autochtones revient donc à leur permettre de vivre dignement, ce qui est la base des droits humains. Il est essentiel de se rappeler que leur histoire et présence sur les terres qui leur appartiennent remontent à des millénaires. Leur mode de vie ne peut que leur appartenir : ils.elles n’ont pas fait le choix d’intégrer nos systèmes de développement et systèmes économiques mondialisés.

Malgré cette reconnaissance officielle par l’ONU notamment, les peuples autochtones du Brésil sont toujours en lutte pour l’application de leurs droits dans les faits. Comme l’a rappelé récemment Sonia Guajajara, militante autochtone de la tribu amazonienne Guajajara, devant le Sénat brésilien :

« Parce que vous avez vos appartements et vos manoirs, cela ne veut pas dire que nous voulons la même chose. Nous voulons le respect de nos droits territoriaux qui ne sont pas seulement des droits constitutionnels, ce sont des droits « d’origine » des peuples autochtones et nous exigeons la compréhension de cela et le respect de nos modes de vies. » (intervention à retrouver ici)

© Illustration de Lucas Le Roy

et

L’aaatelier a besoin d’artisans!
Devenez contributeur et proposez une publication: hello@laaatelier.org

→ Lire aussi