Nina Tunon de Lara et Clémence Moutoussamy → 25 novembre 2019
Le 25 novembre est la journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Elle est aussi la date de clôture du Grenelle contre les violences conjugales lancé par le gouvernement français le 3 septembre dernier. Entre temps, 37 femmes de plus ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint, atteignant le nombre de 137 féminicides pour l’année 2019.
Le 25 novembre n’est pas tant une journée de célébration et de revendication de droits qu’une occasion pour dresser un constat glaçant sur les situations de violences subies par des millions de femmes à travers le monde.
C’est pour contrebalancer le découragement souvent induit par ce bilan annuel des violences, que nous avons choisi de donner la parole à des associations qui se sont données pour objectif de les faire sinon, disparaître, tout du moins reculer.
Actrices du terrain et militantes souvent de longue date, leur parole est précieuse car elle est experte, enrichie par les situations individuelles qu’elles accompagnent et soutiennent. Toutes ensemble, elles contribuent à dresser le tableau des violences subies par les femmes en France. Leur parole est aussi porteuse d’espoir, car chacune à leur manière, elles mettent tout en oeuvre pour répondre de la façon la plus juste, innovante et adaptée possible aux problématiques de violences qu’elles accompagnent jour après jour.
© Illustration Clémence Moutoussamy
Women Safe : un centre d’accueil pluridisciplinaire pour accompagner les victimes de toutes formes de violences
Créée en 2014, l’association Women Safe est à l’origine du premier Centre en France d’organisation pluridisciplinaire permettant en un même lieu de faire travailler ensemble la médecine et la justice, afin d’accompagner et de soigner les femmes et enfants victimes ou témoins de tous types de violence. Situé à Saint Germain-en-Laye, le centre a accueilli plus de 2500 femmes et enfants depuis son ouverture, cumulant en moyenne 4 formes de violences différentes. Dans 1 cas sur 2 les femmes accompagnées sont victimes de violences physiques et dans 2 cas sur 3, de violences psychologiques.
Pour remédier au problème de santé majeur que constituent les violences faites aux femmes et aux enfants, l’association Women Safe en appelle au renforcement du travail partenarial entre les institutions et l’ensemble des professionnels pouvant être amené à agir dans le contexte de leur métier. La complémentarité des actions permet un traitement global et pluriprofessionnel et facilite l’accès des victimes à leurs droits, à la sécurité et à la santé.
Depuis 2017, face à la recrudescence de demandes de la part de mères victimes de violences et de la réalité de 143 000 enfants vivants dans un contexte de violences1, Women Safe a mis en place un pôle mineur au sein du centre, recevant des enfants victimes ou témoins de violences, ainsi que des enfants déjà placés au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Partant du constat qu’un enfant ayant vécu dans un climat de violences a un risque accru d’être victime ou auteur des violences à l’âge adulte, ce pôle mineur a pour objectif de préserver la génération suivante et d’éviter l’installation d’un facteur de vulnérabilité ou de répétition.
« Pour lutter efficacement contre toutes formes de violences, il faut traiter le problème le plus tôt possible et ainsi éviter à ces enfants soit de rester des victimes dans leur vie d’adulte, soit de devenir à leur tour auteurs en calquant ce seul schéma qui leur est connu. », indique Mme Martz, Directrice Générale de Women Safe.
59 enfants ont été accueillis en 2017 et 67 en 2018.
Outre le travail réalisé au sein du centre, Women Safe est également à l’origine de formations dispensées auprès des professionnels, des institutions, des entreprises, des universités, des établissements scolaires et la société civile.es. Des formations indispensables pour dépister, prévenir et apprendre à mieux travailler ensemble.
HandsAway : une application pour lutter contre les violences dans l’espace public
Créée en octobre 2016 par Alma Guirao, l’association HandsAway s’est donnée pour mission d’endiguer les violences sexuelles et sexistes dans l’espace public par le biais d’une application gratuite regroupant d’ores et déjà 45 000 utilisateur·rice·s.
Si les violences sexistes et sexuelles dans la rue et dans les transports font depuis quelques années l’objet de nouvelles mesures, y compris juridiques, 13 700 femmes en demeurent victimes chaque jour en France.
© Illustration Clémence Moutoussamy
L’application HandsAway entend les faire reculer en capitalisant sur l’entraide, le témoignage, la sensibilisation et l’action citoyenne. L’application permet ainsi aux victimes et/ou aux témoins d’agressions d’alerter, de témoigner et d’entrer en contact pour se soutenir mutuellement.
Les prochaines étapes pour HandsAway ? Améliorer l’application afin qu’elle recense par le biais d’une carte les structures d’aide aux victimes sur l’ensemble du territoire national selon quatre catégories :
- sécurité et dépôt de plainte
- hôpitaux et santé
- lieux d’écoute et d’informations
- accompagnement juridique
La carte permettra à l’utilisateur·rice de trouver l’interlocuteur adéquat, à proximité, et de façon instantanée. Pour chaque structure, le nom, l’adresse, les coordonnées GPS, le descriptif, les contacts et les horaires d’ouverture seront renseignés. La cartographie a pour objectif principal d’accompagner au mieux les victimes d’agressions, favoriser la visibilité des structures d’aide, et encourager les victimes à déposer plainte, que ce soit pour outrage sexiste, harcèlement sexuel ou agression sexuelle.
L’association HandsAway travaille en ayant à cœur de fédérer et rallier l’ensemble des acteurs de l’espace public autour du même combat, qu’il s’agisse des institutions publiques, du secteur privé ou encore de la société civile.
En témoigne son partenariat avec Uber, permettant aux victimes d’agressions de bénéficier d’une course gratuite, mais également les formations que l’association met en place auprès de l’entreprise pour sensibiliser aux problématiques sexistes et favoriser une prise en charge adaptée lorsqu’une personne vient d’être victime d’une agression.
Ce travail s’est avéré d’autant plus essentiel, compte tenu des récents témoignages relatifs aux agressions que certaines utilisatrices ont subi de la part de chauffeurs partenaires Uber, laissant entrevoir qu’au-delà de la mise à disposition de courses gratuites pour les victimes d’agression, il est indispensable de sensibiliser les entreprises, de former leurs employé·es et partenaires, et de favoriser le développement d’une culture d’entreprise condamnant sans détour le harcèlement sexuel et l’agression sexiste et de genre.
« L’idée de HandsAway est née de mon histoire personnelle, d’une colère sourde ! Dans le contexte d’agressions sexistes et sexuelles que j’ai rencontré, je me suis demandé ce que je pouvais faire concrètement. C’est ainsi, détectant un réel manque de solution pour faire face à cette situation que j’ai eu l’idée de créer une application mobile structurée autour de trois fondements : le respect de l’anonymat, l’opportunité d’un exutoire, l’acte citoyen qu’il incarne. » – Mme Alma Guirao, fondatrice et présidente de HandsAway
Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) : un acteur historique de l’accompagnement des victimes de viols
Le collectif féministe contre le viol est un acteur historique de la lutte contre les violences faites aux femmes en général et contre le viol en particulier. Créé en 1985, le CFCV ouvre la première permanence téléphonique gratuite et anonyme à destination des victimes de viols, ouverte de 10h à 19h du lundi au vendredi.
Depuis plus de 30 ans, les membres du CFCV écoutent, conseillent, orientent les personnes victimes de viol ou leurs proches. Depuis l’ouverture de la ligne Viols-Femmes-Informations, 59 650 victimes de viol ou d’agressions sexuelles ont été écoutées et accompagnées.
Le recul et l’expérience du CFCV lui confèrent une position d’expert en matière de chiffres et de réalités du viol en France. Ainsi, d’après sa Présidente, Emmanuelle Piet, 300 000 personnes sont violées chaque année, 96% d’entre elles sont des femmes, 60% des viols sont commis sur des personnes mineures.
Outre la ligne téléphonique, le CFCV met en place des groupes de parole pour des personnes victimes de viol afin qu’elles puissent échanger, s’entraider et se soutenir. Elle accompagne enfin les victimes aux procès, soit pour les soutenir dans les procédures judiciaires, soit en se portant partie civile.
Fort de son expertise et de sa connaissance des réalités des violences sexuelles, le CFCV oeuvre également en organisant des formations à destination de policier·e·s, de magistrat·e·s, ou encore du personnel soignant (médecin·e·s, maïeuticien·ne·s).
Le Collectif Féministe Contre le Viol se mobilise pour que les victimes de viols obtiennent justice et réparation, soient entendues et reconnues par la société, et surtout par le système judiciaire. Pour cela, il est essentiel de déconstruire les idées reçues autour du viol, trop souvent véhiculées au sein de la société. Il s’agit de favoriser la reconnaissance de la parole des victimes, et de reconnaître que le violeur n’est ni un inconnu de sa victime, ni une personne obéissant à une pulsion ponctuelle.
« Tant que la justice a une présomption de mensonge2 face au discours des victimes, ça ne fonctionnera pas » – Emmanuelle Piet, Présidente du Collectif Féministe Contre le Viol
D’après le CFCV, les violeurs ont tous le même mode opératoire, apparenté à une véritable stratégie : ils choisissent leur victime avant de s’employer à l’isoler, lui font peur, inversent la culpabilité puis imposent le silence à travers des menaces et des intimidations.
D’autre part, les agresseurs violent généralement plusieurs fois et plusieurs personnes. Sans cette notion de violeurs récidivistes, la mauvaise approche est adoptée lors des enquêtes de police qui se concentrent sur le seul événement et non sur la recherche d’autres événements similaires dans le passé de l’accusé.
Pour Emmanuelle Piet, il faut enfin prendre garde à ne pas tomber dans l’argument naïf du consentement dès lors que le viol s’est produit : les violeurs savent ce qu’est le consentement et savent quand ils ne le respectent pas.
Car si le rôle du CFCV est prioritairement d’écouter et d’accompagner les victimes, le collectif s’investit également dans le plaidoyer, demandant des réformes judiciaires en matière de suppression de délais de prescription, ou encore de reconnaissance automatique du viol sur un·e mineur·e de moins de 15 ans dès lors qu’il·elle a été pénétré·e par un adulte (sans avoir à prouver la menace, la surprise ou la contrainte comme l’exige la loi française). Par ailleurs, le CFCV plaide pour la mise en place d’un accompagnement spécifique des victimes en s’inspirant des centres de prise en charge des violences sexuelles tels qu’ils existent en Belgique : un lieu dédié où se réunissent soignants, psychologues, policiers, et où il existe une présomption de crédibilité pour les victimes (on part du principe que les personnes accueillies disent la vérité).
Pour en savoir plus sur les actions de Women Safe, HandsAway et le Collectif Féministe Contre le Viol, et pour les soutenir dans leurs actions, vous pouvez :
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devenir bénévole ou les soutenir financièrement : Women Safe, HandsAway, Collectif Féministe Contre le Viol
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les suivre sur les réseaux sociaux : Women Safe, HandsAway, Collectif Féministe Contre le Viol
Besoin d’aide pour vous-même ou pour une personne de votre entourage ?
Contactez le CFCV : 0 800 05 95 95 (appel gratuit et anonyme du lundi au vendredi, de 10h à 19h)
Visitez le centre Women Safe ou contactez-le (20 rue Armagis – 78100 Saint-Germain en Laye)
Téléchargez l’application HandsAway : disponible sur l’app store et sur google play.
Nina Tunon de Lara et Clémence Moutoussamy
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