LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Féminicide, nom masculin

Aujourd’hui s’ouvre le Grenelle des violences conjugales. Très attendu et à différents égards contesté, la date du Grenelle coïncide avec le numéro de téléphone Info femmes violences 3919, mis en place en 2014 pour porter assistance aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles en France.

et → 3 septembre 2019

Le Grenelle des violences conjugales s’ouvre aujourd’hui, et le terme de féminicide a enfin trouvé sa place dans la plupart des grands médias (Le Monde, France infos, ou encore Le Point). La réalité des femmes qui meurent assassinées par leurs conjoints et ex-conjoints est de plus en plus relayée au sein des médias français, accompagnant une prise de conscience progressive du niveau d’urgence.

Le Grenelle des violences conjugales s’ouvre aujourd’hui et elles sont 101 à avoir été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint, depuis le 1er janvier 2019. Elles sont cent une à avoir été victimes de féminicides, en France, en 2019.

Pourquoi parle-t-on de féminicides ?

Les violences conjugales sont au coeur d’un système de société sexiste. Le terme de féminicide désigne le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Certains médias parlent de meurtres conjugaux. Les meurtres conjugaux sont dans beaucoup de cas des féminicides dits intimes. Ce sont des crimes misogynes, qui se produisent avant tout parce que dans la société actuelle, le sexisme continue d’influencer notre éducation, notre vision du monde, et nos relations sociales.

De façon souvent inconsciente, le masculin et le féminin sont associés à des caractéristiques, des rôles, et des fonctions. Ces derniers sont eux-mêmes hiérarchisés, et l’homme devient dans notre inconscient collectif plus valorisé, et à bien des égards supérieur à la femme. C’est ce qu’on appelle les stéréotypes sexistes. Nous avons toutes et tous été touché.e.s par ces stéréotypes, à travers notre éducation, l’école, les films, ou encore la télévision. En prendre conscience – individuellement et collectivement – est le premier pas vers une société plus égalitaire et plus inclusive.

Les relations femme-homme en général, et le couple hétérosexuel en particulier ne sont pas exempts de stéréotypes sexistes. Ils influencent insidieusement nos façons de séduire ou de nous laisser séduire, les caractéristiques que nous allons chercher chez nos partenaires, notre rapport à la sexualité, la répartition des tâches et des rôles au sein du couple, et la conception que nous avons du couple même.

Les meurtres conjugaux, pour la grande majorité, sont au coeur de la problématique d’une vision stéréotypée et sexiste des relations de couple. Il s’agit de féminicides car la plupart des femmes assassinées le sont parce qu’elles refusent d’appartenir à leur meurtrier et aspirent à être libres. Dans 70% des cas de féminicides, les victimes sont assassinées car elles se sont séparées de leur meurtrier, aspirent à s’en séparer, ou sont soupçonnées de vouloir s’en séparer (ou de les tromper). Comme l’a montré la journaliste Titiou Lecoq dès 2017, les femmes qui meurent « sous les coups de leur conjoint » ne meurent généralement pas parce qu’elles se cognent à la table basse après une claque trop brutale. Beaucoup d’entre elles sont les victimes de féminicides volontaires, parfois avec préméditation. En témoigne la nécrologie lancée à l’époque par Titiou Lecoq sur le site du journal Libération #DéjàMortes.

Pourquoi le terme de féminicide est important ?

Si le terme de féminicide n’a été popularisé en France que récemment, il apparaît en tant que tel dès le début des années 90, dans le livre Feminicide, The Politics of Woman Killing, des féministes Jill Radford et Diana Russell.

Bien que ne faisant pas l’objet d’une reconnaissance dans le droit français, contrairement au droit belge ou à celui de plusieurs pays d’Amérique latine comme le Chili ou le Mexique, l’usage de ce concept spécifique ne revêt pas moins une importance cruciale. Il permet de sortir de la rubrique « faits divers », des meurtres qui s’inscrivent dans une réalité politique et sociale, en l’occurrence les rapports de domination violents au sein d’un couple, ayant pour origine la structuration sexiste de nos sociétés.

L’idée du féminicide est de distinguer la mort d’une femme indépendamment de sa condition de femme (dans un accident de la route par exemple), de la mort causée par le conjoint ou l’ex-conjoint car celui-ci ne trouve plus d’autres moyens que le meurtre pour conserver son pouvoir sur sa compagne ou ex-compagne.

Au même titre que nos couples, nos organisations ou nos associations d’idées, nos médias peuvent tomber dans l’écueil des stéréotypes sexistes, et manquer de clairvoyance quant au traitement médiatique des féminicides. C’est le travail de l’association de femmes journalistes Prenons la une que de dénoncer le sexisme au sein des médias, y compris en matière de traitement médiatique des violences faites aux femmes. À titre d’exemple, elles s’opposent fermement à l’usage d’expressions telles que « crime passionnel », qui tendent à implicitement justifier le comportement de l’agresseur, voire à romantiser le crime.

Depuis la fin de l’année 2018, et l’organisation de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles lancées par le collectif féministe Nous Toutes, plusieurs associations et personnalités féministes ont repris le travail de Titiou Lecoq afin de tenir le compte des féminicides tout au long de l’année : Nous Toutes, Marie Bongars, ou encore des associations comme Women Safe ou HandsAway.

L’année 2019 a par ailleurs été ponctuée de plusieurs rassemblements de mouvements féministes, au fur et à mesure que le nombre de femmes assassinées augmentait : la dernière en date, à Paris au Trocadéro dimanche 1er septembre dernier pour la centième femme victime de féminicide.

Les attentes du Grenelle des violences conjugales

Aujourd’hui, mercredi 3 septembre 2019, s’ouvre le Grenelle des violences conjugales, avec pour objectif annoncé de faire connaître au maximum le numéro d’urgence info femmes violences 3919.

Pour autant, les associations ont des attentes importantes en termes de mesures budgétaires. Les dernières mobilisations se sont déroulées sous le hashtag #1Milliardpas1Million, en référence à l’annonce de la Ministre Marlène Schiappa de la création d’un fond de un million d’euros à destination des associations locales.

La lutte contre les violences faites aux femmes, a été désignée « Grande cause nationale » par le gouvernement pour l’année 2018, quand l’égalité entre les femmes et les hommes a été proclamée Grande Cause du Quinquennat et se voit dotée d’un budget de 530 millions d’euros pour l’année 2019. La lutte contre les violences faites aux femmes serait quant à elle dotée d’un budget d’environ 79 millions pour l’année 2019 d’après le Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes. Ce dernier préconise pourtant un budget d’au moins 500 millions d’euros pour lutter efficacement contre les violences.

Outre davantage d’engagements budgétaires, d’autres demandes ont été émises par un collectif féministe regroupant plusieurs personnalités et militant dans la tribune au Monde Les féminicides ne sont pas une fatalité, Monsieur le Président réagissez parue au début de l’été.

Ouvrir des places d’hébergement afin d’éloigner les conjoints violents de leurs victimes, faire en sorte que les violences conjugales soient prises en charge efficacement par les services de police, attribuer davantage d’ordonnances de protection, aider les services de santé à redoubler de vigilance et à signaler les violences ; sont autant de mesures attendues dans le but d’enrayer une fois pour toutes le compteur français des féminicides.

© Illustration de Brouette hurlante. 

 

et

L’aaatelier a besoin d’artisans!
Devenez contributeur et proposez une publication: hello@laaatelier.org

→ Lire aussi