Nina Tunon de Lara, Souad Martin-Saoudi et Clémence Moutoussamy → 22 mai 2019
Retrouvez la première partie de cette série sur le viol conjugal ici.
Dans le droit pénal français, le viol est défini comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise (art 222-23 du Code pénal français). Le viol entre conjoint·e·s, ou viol conjugal, est également un crime, qualifié comme étant un viol aggravé étant donné que le·a conjoint·e est censé·e être une personne de confiance. Ainsi, la peine de prison maximale passe de 15 à 20 ans (art. 222-24 al. 11). Seulement 78 pays dans le monde sur près de 200 criminalisent le viol conjugal, dont la France.
Pourtant, nous avons assisté encore très récemment, à des propos banalisant le viol conjugal, à l’instar de l’émission de Cauet sur Fun Radio, puis à la très populaire émission Touche Pas à Mon Poste sur C8 de Cyril Hanouna1.
« Des choses qui se font quand l’une des personnes dort c’est tout à fait mignon c’est tout à fait sympa »
[Delphine Wespiser – chroniqueuse TPMP]
Comment un crime aggravé peut-il faire l’objet de plaisanteries ou de banalisation sur des grands médias français ? Cela s’explique d’une part par un système culturel biaisant la vision collective que nous avons du viol (un phénomène analysé dans un premier article disponible ici). Mais cela provient aussi d’autre part, d’un système législatif et judiciaire peinant à reconnaître et punir ce type de violences.
La difficile reconnaissance juridique du viol conjugal
Bien que le crime de viol ait été introduit dans le Code pénal français dès 1983, il aura fallu attendre jusqu’en 1992 pour que les rapports sexuels imposés par un époux sur son épouse soient condamnés. Au Royaume-uni, le devoir conjugal était la réalité juridique jusqu’à un jugement historique en 1991. L’illégalité du viol conjugal a finalement été explicitement énoncée dans la loi de 2003 sur les infractions sexuelles. Au Canada, le viol conjugal n’est devenu un crime qu’en 1983, tandis qu’aux États-unis, il a fallu attendre jusqu’en 1993 pour que les 50 États le criminalisent, sous au moins une section des codes d’infraction sexuelle.
Mais pourquoi attendre si longtemps ? C’est en grande partie à cause de l’idée très répandue que par le mariage une femme se soumet irrévocablement à des rapports sexuels en toutes circonstances. C’est ce qu’on appelle le « devoir conjugal ». S’il est vrai que ce concept, caractérisé par le devoir de relations sexuelles dans un mariage, n’a jamais existé sur le plan pénal, il se cache derrière l’obligation mutuelle des époux à une « communauté de vie » prévue notamment dans le Code civil français et qui évoque implicitement la « communauté de lit ». C’est aussi à cause de l’utilisation par les autorités judiciaires du « droit à la vie privée au sein de la famille » comme d’une justification pour s’abstenir de s’immiscer dans la vie de couple et protéger les époux-agresseurs des conséquences juridiques.
De même, aux États-unis, malgré la criminalisation du viol conjugal, certains États accordent encore des privilèges et des exemptions aux époux poursuivis pour viol. Ce deux poids deux mesures au niveau du consentement, mène à des situations absurdes et aberrantes où par exemple en Ohio, une femme peut être droguée et agressée sexuellement – et ce légalement – si l’auteur est son époux.
La culture du viol solidement ancrée dans les systèmes de justice
Avec la criminalisation du viol conjugal un peu partout en Occident, on pourrait croire que les femmes ont atteint l’égalité formelle devant la loi et dans leurs mariages – qu’elles sont désormais reconnues comme des personnes autonomes et non comme la propriété de leur époux. Pourtant, le viol conjugal reste trop souvent impuni. Les faibles taux de dénonciation et de poursuite du viol témoignent de cette réalité, tout comme les problèmes persistants liés au traitement judiciaire des plaintes pour viol conjugal. En France, moins de 10 % des survivantes de viol conjugal portent plainte, dans 90 % des cas, la plainte est classée sans suite et seulement 2 % des auteurs sont sanctionnés. Pour comprendre pourquoi, il est indispensable de garder à l’esprit trois choses :
La loi n’est pas naturelle ; elle est déterminée en fonction de la société et celle-ci est en constant changement. Ainsi, la loi est relative au changement social et culturel.
La procédure pénale laisse apparaître lors de son déroulement tous les préjugés provenant des principaux intervenant·e·s. En effet, la police, les avocat·e·s et les juges interviennent souvent en fonction de leur conception personnelle de la réalité. Ce qui introduit des stéréotypes fondés sur le genre dans l’administration de la justice.
Le droit agit alors comme un outil de maintien et de reproduction du phénomène social qu’est la culture du viol. Même si le viol au sein du couple a été reconnu et consacré par la loi, certains juges se montrent prêt·e·s à « comprendre » l’agresseur et à l’exempter. C’était d’ailleurs le cas d’un magistrat du tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine) et d’un juge de la Cour supérieure de l’Ontario, province canadienne qui, en 2017, continuaient de fonder leurs jugements sur les mythes relationnels et de perpétuer la culture du viol.
Face à la difficulté de reconnaissance juridique, la nécessaire prévention : éduquer au consentement
L’éducation au consentement est liée de façon directe à la déconstruction de nos représentations en matière de sexualité. Elle doit atteindre les filles comme les garçons, pour que les premières ne normalisent pas ce qui ne devrait jamais l’être, et que les deuxièmes veillent à être à l’écoute de leur partenaire, sans envisager le sexe comme un dû ou l’assouvissement d’une pulsion qui les dépasse.
L’éducation au consentement passe par une prise de conscience : celle de reconnaître qu’en matière de sexe, nous n’appliquons pas nos règles sociales habituelles. C’est ce que démontrent différents projets d’éducation au consentement en utilisant la preuve par l’absurde à l’image de la vidéo « Consent : it’s as simple as tea » ou encore des illustrations publiées par le site Everyday Feminism. Cette prise de conscience est particulièrement décisive au sein du couple qui doit sortir d’un imaginaire relevant du rapport d’appartenance et de possessivité. Être dans une dynamique relationnelle à deux, quelqu’en soient ses modalités (mariage, PACS, concubinage, union libre, etc.), ne donne pas de droits sur l’intégrité physique et corporelle de l’autre, cela n’autorise en rien à faire l’économie de s’assurer de son consentement.
L’autre idée majeure de l’éducation au consentement, est qu’obtenir le consentement ne revient pas à détruire tout rapport de séduction et la légèreté qui y est associé. Cette idée est particulièrement défendue par Maïa Mazaurette, féministe en charge de rédaction de chroniques sur la sexualité pour Le Monde et le magazine masculin GQ (entre autres), ainsi que par Fiona Schmidt autrice du livre L’amour après #metoo, Traité de séduction à l’usage des hommes qui ne savent plus comment parler aux femmes. Maïa Mazaurette a par exemple publié un article dans GQ faisant état des 12 commandements du label « sexe éthique » tandis que dans son livre Fiona Schmidt établit avec pédagogie, les principes d’une séduction légère, agréable, tout en étant respectueuse de l’autre.
Découvrez aussi le court-métrage « Un consentement » de Flosabatier, du Nikon Film Festival.
La reconnaissance de l’existence d’abus au sein du couple, y compris dans leur dimension sexuelle est un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette dernière passe également par une reconfiguration des rôles, des droits et des libertés au sein de la vie privée et du couple. L’existence du viol conjugal, dans des proportions encore trop importantes et caractérisée par une impunité quasi totale, nous pousse à tirer un certain nombre de conclusions :
- Prendre conscience qu’un viol ne correspond pas nécessairement à la représentation que nous en avons
- Prendre en considération l’existence de la culture du viol y compris dans les procédures judiciaires
- Déconstruire nos stéréotypes en matière de genre en cessant d’interpréter les comportements de personnes sous prétexte qu’elles sont dotées de pénis (qui les rendraient incontrôlables) ou d’ovaires (qui les rendraient irrésistibles)
- Ecouter les victimes sans mettre leur parole en doute, ni les borner à la procédure judiciaire
- Accepter que ce n’est pas parce qu’il n’y pas eu condamnation qu’il n’y a pas eu viol
- Doter les jeunes générations des bons outils pour une sexualité heureuse, égalitaire, basée sur le consentement mutuel et enthousiaste
© Illustration Clémence Moutoussamy
Retrouvez la première partie de cette série sur le viol conjugal ici.
Si vous êtes en danger au sein de votre couple ou qu’une personne de votre entourage est en danger :
En France:
- Numéro d’urgence Violences Femmes Infos : 39 19
- Collectif Féministe Contre le Viol : 0 800 05 95 95 (Appel gratuit et Anonyme du Lundi au Vendredi, de 10h à 19h)
Au Maroc:
Fixe : 05376-74174
Numéro d’urgence: 08 01 00 29 29
- Manchoufouch : appli de dénonciation des violences basées sur le genre et la séxualité
Cet article, bien que s’efforçant d’appliquer les règles de l’écriture inclusive, parle de violeurs et non de violeuses. Non pas pour nier la réalité – bien que statistiquement minoritaire – des femmes coupables de viols, mais plutôt pour mettre en exergue le fait que le viol conjugal est symptomatique On d’une société structurée de façon sexiste jusque dans nos vies individuelles et sentimentales.
Par ailleurs, cet article se centre sur le viol conjugal au sein du couple hétérosexuel. Il s’attache à décrire et comprendre les ressorts de la domination sexiste et sexuelle de l’homme sur la femme au sein d’une relation amoureuse et/ou sexuelle. Même si des hommes comptent parmi les survivant.e.s de viol, nous mettrons cette réalité partiellement de côté par soucis de clarté.
Nina Tunon de Lara, Souad Martin-Saoudi et Clémence Moutoussamy
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