LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Mon mec, ce violeur [1/2]

Le viol conjugal s’inscrit au sein du trop large éventail des violences dans le couple. Reconnu en tant que crime aggravé par la loi française, il est pourtant aujourd’hui encore méconnu, peu puni, quand il ne fait pas l’objet d’une banalisation ou même de plaisanteries.

Première partie de cette série sur le viol conjugal.

et → 15 mai 2019

Dans le droit pénal français, le viol est défini comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise (art. 222-23 du Code pénal français). Le viol entre conjoint·e·s, ou viol conjugal, est également un crime, qualifié comme étant un viol aggravé étant donné que le·a conjoint·e est censé·e être une personne de confiance. Ainsi, la peine de prison maximale passe de 15 à 20 ans (art. 222-24 al. 11). Seulement 78 pays dans le monde sur près de 200 criminalisent le viol conjugal, dont la France. Pourtant, nous avons assisté encore très récemment, à des propos banalisant le viol conjugal, à l’instar de l’émission de Cauet sur Fun Radio, puis à la très populaire émission Touche Pas à Mon Poste sur C8 de Cyril Hanouna1.

« Des choses qui se font quand l’une des personnes dort c’est tout à fait mignon c’est tout à fait sympa »

[Delphine Wespiser – chroniqueuse TPMP]

Comment un crime aggravé peut-il faire l’objet de plaisanteries ou de banalisation sur des grands médias français ? Cela s’explique d’une part par un système culturel biaisant la vision collective que nous avons du viol. Mais cela provient aussi d’autre part, d’un système législatif et judiciaire peinant à reconnaître et punir ce type de violences (à découvrir dans un prochain article).

© Illustration Clémence Moutoussamy

La culture du viol au cœur de la problématique de la reconnaissance du viol conjugal

Le viol conjugal nous confronte à une idée à laquelle nous avons du mal à collectivement souscrire : une personne peut aimer, être aimée tout en pouvant violer ou être violée. L’amour proclamé et le couple ne constituent pas un rempart protégeant miraculeusement des abus, en témoignent l’éventail de violences conjugales subies par des femmes (majoritairement).

Les violences conjugales peuvent désigner différents types de violences : psychologiques (insultes, harcèlement moral), physiques (coups et blessures), sexuelles (viol et attouchements), économiques (privation de ressources et maintien dans la dépendance), numériques (cyberharcèlement), isolement et privation de documents d’identité.

On estime qu’en moyenne 219 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles, par an en France. D’après l’association Collectif Féministe Contre le Viol, 37% des personnes ayant subi un viol en France, sont violées par leur conjoint et vivent avec ce dernier au moment des faits. Dès lors, le viol conjugal ne saurait être caractérisé d’exceptionnel ou anecdotique, c’est une réalité subie par de trop nombreuses femmes au sein de leur couple.

Pourtant, les personnes face à des cas de viol conjugal, qu’elles soient victimes, agresseuses, juges ou parties, ou encore simple spectatrices, peinent à l’identifier, à le comprendre, à reconnaître son existence. Si nous avons tant de difficulté à conceptualiser collectivement le viol conjugal et à le prendre au sérieux en tant que crime aggravé, cela peut être expliqué par le concept de culture du viol présent dans nos sociétés. La culture du viol a été théorisée par les féministes américaines dans les années 702. Elle vise à montrer que dans nos sociétés, il existe une culture biaisant le regard que nous avons des sexualités, et du viol lui-même.

Qu’est-ce que la culture du viol ?

La culture du viol est caractérisée par des croyances, ou mythes, communément admis et diffusés. Pour bien comprendre de quoi la culture du viol retourne, nous pourrions nous attarder sur trois de ses mythes principaux.

Dans notre imaginaire collectif, nous concevons un viol comme une agression sauvage perpétrée par un inconnu dans une ruelle sombre. Pourtant, les statistiques vont très clairement à l’encontre de cette croyance : 91% des femmes violées connaissent leur violeur, 46% sont violées par un conjoint ou un ex-conjoint, 42% des viols ont lieu au domicile de la victime. Elles nous confrontent à la réalité suivante : les violeurs sont des hommes standards, des pères, frères, maris, cousins, amis.

Un deuxième mythe de la culture du viol est relatif à la sexualité des hommes, qui serait irrépressible. Selon une enquête de l’institut IPSOS et l’association Mémoire traumatique et victimologie, 63% des français·e·s pensent que les hommes ont plus de mal à maîtriser leur désir sexuel. Une croyance très ancrée, sans preuve scientifique tangible, qui s’avère extrêmement déresponsabilisante pour les agresseurs. Accessoirement, elle est particulièrement dévalorisante pour les hommes, qui seraient dominés par leurs pulsions sexuelles.

Enfin, un troisième mythe de la culture du viol est lié à la responsabilité que l’on fait peser sur la femme (potentiellement) victime, ainsi qu’à la vision entretenue de la séduction et de la sexualité. Puisque « l’homme est un prédateur », la femme doit s’en protéger, en ne buvant pas trop, en étant prudente, en s’habillant de façon séduisante mais pas provocante, en évitant d’être à l’origine du flirt (surtout pas pour changer d’avis après !).

En creux, on reproche aux victimes de viol, quand il s’agit de femmes, de n’avoir pas été suffisamment prudentes, puisque ça leur est arrivé (« et qu’elles étaient prévenues »). Cette croyance est associée à une autre : les femmes connaissent leur pouvoir sur les hommes et en jouent, leur « non » peut vouloir dire « oui ». Un tiers des français·e·s de 18-24 ans pensent que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d’une relation sexuelle.

Dépasser la culture du viol et les mythes relationnels pour qualifier l’agression

Ces différentes croyances participent ainsi à la culture du viol, qui se voit renforcée par certains films, certains livres et certaines émissions de télévision et radio. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’on peine tant à prendre le viol conjugal au sérieux. Notre difficulté est même emblématique de la culture du viol : le conjoint est un être de confiance, bien loin de la figure de l’agresseur, il aurait des besoins sexuels exigeant absolument d’être assouvis, la femme doit bien y répondre d’une façon ou d’une autre. La surreprésentation de la culture du viol dans nos sociétés est associée à d’autres croyances, qui sont loin de lui être étrangères, notamment autour de notre vision de l’amour et de la relation. Les représentations de la relation amoureuse nous font croire et aspirer à un amour fusionnel, où la logique dominante est celle de l’appartenance et de la possession. Elles tendent à nous faire excuser voire idéaliser la relation abusive. Le vocable de l’amour est d’ailleurs celui souvent mobilisé par les hommes abusifs lors de violences au sein du couple, notamment lors de la phase dite de la « lune de miel » du cycle de la violence conjugale ; ou par les journalistes lors du traitement médiatique des féminicides, les qualifiant de « crimes passionnels »3.

Ces différents éléments nous astreignent à un travail de déconstruction, individuel comme collectif, de notre vision de l’amour, du rapport à l’autre, et de la sexualité. Afin que la domination ne se soustraie plus à l’égalité, ni l’agression au consentement mutuel.

© Illustration Clémence Moutoussamy

 

La partie II de cet article, abordera les enjeux juridiques du viol conjugal encore massivement impuni, ainsi que l’importance de l’éducation au consentement pour que ce type de violences soient identifiées comme telles et ne se produisent plus.

Si vous êtes en danger au sein de votre couple ou qu’une personne de votre entourage est en danger :

En France :

Au Maroc :

Fixe : 05376-74174

Numéro d’urgence : 08 01 00 29 29

 

* Cet article, bien que s’efforçant d’appliquer les règles de l’écriture inclusive, parle de violeurs et non de violeuses. Non pas pour nier la réalité – bien que statistiquement minoritaire – des femmes coupables de viols, mais plutôt pour mettre en exergue le fait que le viol conjugal est symptomatique d’une société structurée de façon sexiste jusque dans nos vies individuelles et sentimentales.

Par ailleurs, cet article se centre sur le viol conjugal au sein du couple hétérosexuel. Il s’attache à décrire et comprendre les ressorts de la domination sexiste et sexuelle de l’homme sur la femme au sein d’une relation amoureuse et/ou sexuelle. Même si des hommes comptent parmi les survivant.e.s de viol, nous mettrons cette réalité partiellement de côté par souci de clarté.

 

et

L’aaatelier a besoin d’artisans!
Devenez contributeur et proposez une publication: hello@laaatelier.org

→ Lire aussi