Veridiana Mathieu et Irène Iron → 7 mai 2019
Les défenseur.e.s menacé.e.s partout dans le monde1
Défendre les droits fondamentaux nécessite courage et détermination, parfois au péril de sa propre vie. C’est affronter différents types d’intérêts économiques, politiques ou alors des valeurs traditionnelles de nos sociétés. Cela peut conduire certains protagonistes comme les États, les entreprises, les groupes armés et parfois même sa propre communauté ou famille à exercer de fortes pressions, rétorsions et violences.
Les menaces physiques, ne sont pas rares et se multiplient comme nous le rappelle l’exemple récent du cas Jamal Khashoggi, journaliste saoudien, fervent critique du régime de son pays. Il dénonçait entre autres le manque de démocratie et de liberté d’expression. Résidant en Turquie, il a disparu après s’être rendu à l’ambassade d’Arabie Saoudite en octobre 2018. Une enquête a ensuite révélé qu’il a été assassiné au sein même de l’ambassade par des agents de sécurité saoudiens.
La violence contre les défenseur.e.s est en pleine recrudescence. On estime qu’environ 3500 défenseur.e.s ont été assassiné.e.s depuis 1998, dont plus de 1100 entre 2015 et 20172. Les défenseur.e.s des droits environnementaux et des droits des peuples autochtones sont aujourd’hui les plus touché.e.s. Selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Frontline Defenders, ils.elles représentent 77% des défenseur.e.s assassiné.e.s en 2018.
© Illustration Irène Buigues dit Iron
Les défenseur.e.s peuvent également être victimes de campagnes de diffamation cherchant à décrédibiliser leur travail. Récemment, le député brésilien, Jean Willys3, qui œuvrait pour les droits humains et les droits LGBTQI a dû quitter son pays et renoncer à son mandat car il recevait de nombreuses menaces de mort4. De fausses informations l’accusant entre autres d’apologie de la pédophilie s’étaient propagées sur les réseaux sociaux attisant la haine, qui lui ont fait craindre une atteinte pour sa vie et celle de ses proches.
Toujours pour contrarier leurs actions et les empêcher d’agir, des États n’hésitent pas à qualifier les défenseur.e.s d’espion.ne.s de l’étranger, d’entraves au développement ou même de terroristes. Par exemple, aux Philippines, des dizaines de défenseur.e.s comme Joanna K. Cariño, activiste pour la défense des droits des peuples autochtones, se trouvent sur une « liste de terroristes » élaborée par le gouvernement, en raison de leur activisme5.
Les défenseur.e.s des droits humains peuvent parfois être poursuivi.e.s en justice pour leurs actions, ou emprisonné.e.s sous de fausses accusations. En France, par exemple, Cédric Hérrou et Martine Landry ont été poursuivis par les pouvoirs publics pour avoir aidé des personnes à passer la frontière illégalement, alors qu’ils venaient en aide à des personnes migrantes pour le respect de leurs droits fondamentaux6. En Tchétchénie, Oyub Titiev, directeur du Human Rights Center Memorial de Grozny, organisation qui y dénonce les violations des droits humains, est depuis plus d’un an en prison. Il est faussement accusé de détention de drogues afin de décrédibiliser son travail7. Selon la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme de fausses preuves ont été implantées et les règles pour un procès équitable ne sont pas respectées. Selon l’ONG Frontline Defenders, les arrestations représentent 36% des violations commises contre les défenseur.e.s.
Des lois sont également adoptées pour entraver les actions de la société civile, y compris donc des organisations de défense des droits humains. Ces lois peuvent empêcher la création d’organisation ou encore la réception de financements. Par exemple, le Burundi a adopté en janvier 2017 une loi qui durcit les règles de fonctionnement des ONG internationales dans le pays. En conséquence, l’activité des ONG qui dénoncent les violations des droits humains a été suspendue8.
Selon le Rapporteur spécial des Nations unies (ONU) sur la situation des défenseur.e.s des droits humains, les atteintes aux actions des défenseur.e.s restent souvent sans condamnations9. Cette impunité face aux violations commises envers ceux.celles-ci est une des causes principales de leur mise en danger.
Qui protège les défenseur.e.s ?
Face à ces nombreuses menaces, plusieurs acteurs ont mis en place des systèmes de protection, dont voici quelques exemples :
- Des ONG spécialisées et des réseaux de défenseur.e.s10 : ils organisent des formations pour qu’ils.elles connaissent leurs droits, documentent les violations des droits humains, partagent des bonnes pratiques…
- Des villes : un réseau de villes refuges existe aujourd’hui avec le but d’accueillir des défenseur.e.s et leur famille en danger ;
- Des organisations régionales : le programme ProtectDefenders de l’Union européenne permet entre autres de relocaliser temporairement un.e défenseur.e en danger dans un autre pays ;
- Des organisations internationales : l’ONU a créé un mandat de Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits humains. Il.elle veille à ce que les États respectent leurs obligations internationales et peut également interpeller les États lorsqu’un.e défenseur.e est en danger.
- Et…. vous ! Tout.e.s citoyen.ne.s peut s’engager pour la protection des défenseur.e.s en partageant des informations sur leurs droits, en contribuant à la reconnaissance de leur travail et en soutenant les organisations qui les protègent.
Protéger les défenseur.e.s c’est protéger nos droits à tou.t.e.s
Imaginons un monde où personne ne critique les gouvernements, où personne n’alerte le grand public des injustices, où personne n’affronte des intérêts privés au nom du respect des peuples et de l’environnement… Les défenseur.e.s de droits humains sont souvent les seul.e.s et derniers remparts face aux violations des droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ils.elles sont des acteurs fondamentaux pour une société plus juste et inclusive. Si les droits des défenseur.e.s sont menacés cela veut dire que nos droits à tou.t.e.s le sont aussi !
Malgré un contexte défavorable, rien que pendant l’année 2018, des faits rappellent que l’action n’est pas vaine : la Tunisie a adopté une loi pour l’élimination de tout forme de discrimination raciale, la communauté Xolobeni a empêché l’exploitation minière de ses terres en Afrique du Sud, l’Irlande a franchi un grand pas pour le droit des femmes en autorisant l’avortement, la Malaisie a annoncé vouloir abolir la peine de mort11… Toutes ces victoires pour les droits humains sont dues en grande partie à l’action des défenseur.e.s. En dépit de toutes menaces, les défenseur.e.s ne laissent pas place au pessimisme comme ils.elles l’ont rappelé lors du dernier Sommet mondial en octobre 2018: « Nous nous engageons à continuer le combat contre le système patriarcal, les inégalités et les discriminations de toutes sortes. […] Nous encourageons toutes les personnes et tous les groupes de la société à se battre avec nous pour défendre les droits humains12».
Pour plus d’information sur la situation des défenseur.e.es par pays : Rapport mondial sur la situation des défenseur.e.s des droits humains (décembre 2018)
Veridiana Mathieu et Irène Iron
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