Mélanie Marcos, Aziliz Quillévéré et Flo Love → 11 avril 2018
Comment est vécu l’entretien en lui-même devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou l’audience devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ?
Aziliz Quillévéré, psychologue :
« La précarité sociale, revient pratiquement à suspendre son être à un formulaire », Paul Laurent Assoun.
L’entretien devant l’OFPRA est souvent attendu avec impatience, mais aussi avec crainte. Le demandeur d’asile espère beaucoup de cet entretien et notamment une reconnaissance de son vécu. Mais cette volonté d’être écouté et entendu viendra se heurter à une réalité différente. En effet, il est demandé à cette personne de « convaincre » son interlocuteur, représentant de l’État. Il doit notamment apporter un récit « crédible ».
Comme je l’ai expliqué précédemment, le travail de remémoration peut déjà constituer en soi un moment extrêmement douloureux. Or, l’entretien oblige non seulement une remémoration mais un témoignage que l’agent administratif va évaluer, juger. Devant la CNDA, cette position dans laquelle la parole est mise en doute sera encore plus renforcée.
Après le récit écrit vient donc le récit oral. La personne qui demande l’asile a parfois déjà dû raconter son parcours à plusieurs interlocuteurs (travailleurs sociaux, juristes en association, agents préfectoraux, etc.). Ainsi, certaines d’entre elles exprimeront le sentiment que leur récit ne leur appartient plus et leur crainte de ne pas paraître suffisamment crédible.
Cette crainte, exprimée par la majorité des demandeurs d’asile de « ne pas être cru », est renforcée par la posture adoptée par les agents de l’OFPRA qui effectuent un véritable travail d’enquêteurs, portant leurs interrogations sur des détails précis, intimes, qui peuvent générer un sentiment de grande intrusion par la personne reçue.
Certaines persécutions, de l’ordre de l’intime, subies dans le pays d’origine, sont toujours empreintes d’un sentiment de honte, d’humiliation. Ainsi, devoir le verbaliser dans le cadre de l’entretien à l’OFPRA ou de l’audience à la CNDA peut bouleverser et déstabiliser la personne.
Cette injonction à tout dire peut entraver la parole, la bloquer, tant l’enjeu de cette parole est énorme. Le but est bien sûr pour la personne d’obtenir l’asile mais cet acte n’est pas sans conséquences psychiques. En effet, le possible statut de réfugié vient d’abord signer une possibilité de démarrer une nouvelle vie, de pouvoir s’inscrire à nouveau dans un lieu. Dans le même temps, la reconnaissance du statut de réfugié vient marquer la fin du possible retour dans leur pays d’origine, signant ainsi le début d’un processus de deuil de la terre natale.
L’entretien peut également poser des problèmes liés à la langue. Lorsque son niveau de français n’est pas suffisant, la personne doit faire appel à un interprète qu’elle doit parfois rémunérer. Le passage par la traduction biaise nécessairement l’entretien, opérant une médiation de la parole et des émotions. En effet, l’interprète est le médiateur entre le demandeur d’asile qui s’exprime et l’interlocuteur de l’OFPRA ou de la CNDA qui reçoit les informations. De plus, cette traduction est toujours sujette à l’interprétation. Dans un autre registre, les personnes qui s’exprimeront en français n’auront pas nécessairement les codes langagiers requis pour un tel exercice, ne maîtrisant pas toujours les nuances et créeront ainsi des incompréhensions. La posture de l’officier de l’OFPRA jouera donc énormément sur les conditions de l’entretien, selon sa capacité à instaurer un lien de confiance et à adopter une attitude accueillante qui permettra à la personne de ne pas s’effondrer.
Elise Pestre, dans son ouvrage La vie psychique des réfugiés, relèvera le paradoxe de cet entretien dans lequel « règne la présomption de mensonge, de culpabilité même ». Ainsi le réfugié est « présumé coupable » dira-t-elle, tant devant l’OFPRA que devant la CNDA.
Mélanie Marcos, juriste :
Le demandeur d’asile est parfois surpris de l’attitude des officiers de protection à l’OFPRA et des juges à la Cour nationale du droit d’asile. L’attitude de ces derniers peut en effet paraître extrêmement suspicieuse. Certains cherchent à interroger la personne sur sa situation économique au pays. Alors que celle-ci n’a aucune importance, une personne qui subit des persécutions en raison de ses engagements politiques, peut être riche, ou pauvre. Certains ne font pas preuve de patience, alors qu’il est difficile pour une personne de parler de graves sévices vécus. Il arrive aussi que des juges s’endorment durant les audiences, après le repas ou en fin de journée.
Il est nécessaire que les officiers de protection et les juges rassurent le demandeur d’asile au début de l’entretien. En effet, l’entretien peut être vécu comme un « interrogatoire policier », surtout lorsque la personne a déjà subi des peines de prison et des interrogatoires policiers dans son pays.
La présence d’un intermédiaire, l’interprète, peut également mettre à mal le demandeur d’asile. A l’OFPRA, les interprètes ne sont pas forcément assermentés, mais ont signé un engagement par lequel ils s’engagent à traduire fidèlement. Malgré tout, les demandeurs d’asile sont parfois surpris de la distorsion entre ce qu’ils ont dit à l’OFPRA dans leur langue et ce qui en ressort en français sur le compte-rendu d’entretien (lors d’une décision de rejet de l’OFPRA, le demandeur d’asile reçoit le compte-rendu écrit de tout ce qui a été dit pendant l’entretien).
La communication peut être compliquée. Il y a par exemple peu d’interprètes four, kryo ou gorane à l’OFPRA1. Dans ce cas, face aux délais d’attente très longs pour être entendu dans ces langues, l’OFPRA peut demander au demandeur s’il souhaite être entendu dans une autre langue qu’il « maîtrise ». Les approximations sont donc nombreuses. Ou encore, certaines langues ne sont pas disponibles, comme le tigré par exemple2.
L’interprète s’engage également à assurer la confidentialité de l’entretien. Malgré tout, lorsque l’interprète est de la même communauté, le demandeur d’asile peut avoir des réticences à s’exprimer. En effet, si l’on prend l’exemple d’une femme guinéenne fuyant un mariage forcé, elle pourrait présenter des réticences à s’exprimer en soussou, puisque l’interprète provient de la même communauté dans laquelle la figure paternelle représente une autorité à laquelle nul ne peut s’opposer et qu’ainsi, la fuite d’une femme représente un déshonneur insupportable, car cette dernière ne respecte pas les coutumes et normes usuelles.
Lorsque l’interprète ou l’officier de protection est un homme, il peut être difficile de parler de viol par exemple. Il est possible de faire une demande expresse pour que la personne soit entendue par une femme, mais c’est dans la mesure du possible selon l’OFPRA.
D’autre part, un entretien à l’OFPRA, outre le fait qu’il soit stressant, peut être extrêmement long (en moyenne 1h30, sauf exception), les demandeurs d’asile en sortent épuisés.
N’hésitez pas à lire ou relire les autres questions des entretiens précédents ici !
© Illustration de Flo Love
Mélanie Marcos, Aziliz Quillévéré et Flo Love
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