Mélanie Marcos, Aziliz Quillévéré et Flo Love → 10 avril 2018
En quoi la préparation de la demande d’asile peut-elle être difficile voire violente pour les exilés ?
Aziliz Quillévéré, psychologue :
Demander l’asile est une procédure complexe et éprouvante à laquelle se soumet la personne exilée. En effet, tout l’enjeu de cette demande est de parvenir à apporter suffisamment de preuves des persécutions subies dans le pays d’origine et de prouver sa légitimité à obtenir une protection.
La préparation à l’entretien à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) oblige un travail de verbalisation et/ ou de rédaction d’un vécu intime. La totalité des personnes exilées présentent des symptômes psychiques (parfois physiques) importants allant des troubles anxio-dépressifs à des psychotraumatismes sévères.1. Selon le vécu de la personne, les événements auxquels elle a été confrontée et sa personnalité, sa demande d’asile et notamment la préparation à l’entretien à l’OFPRA prendra une tonalité différente.
Dans tous les cas, l’obligation de dire, de raconter, de prouver constitue en soit un acte violent, intrusif et non adapté aux possibilités de chacun.
Pour les demandeurs d’asile présentant un syndrome post-traumatique, l’expérience de terrain nous montre que ces personnes présentent des amnésies ou des oublis, autant de troubles qui sont l’effet d’un choc psychique. En effet, lorsqu’une personne est confrontée à une situation effroyable, le psychisme se protège en mettant à distance les images de l’événement et les ressentis liés à celui-ci, expliquant que la personne ait des oublis. Ainsi, la préparation à l’entretien devant l’OFPRA peut engendrer des symptômes qui n’étaient pas apparus jusqu’alors du fait de ce travail de remémoration rapide et violent demandé par l’OFPRA, et amplifié par un enjeu vital de la demande d’asile.
Cette étape peut même parfois entraîner de graves décompensations. En psychologie, la décompensation correspond à ce moment où tous les mécanismes de protection psychique mis en place par l’individu pour rester en vie, comme par exemple le refoulement, s’effondrent et la personne se trouve de nouveau confrontée à son vécu traumatique initial qu’elle ne parvient plus à mettre à distance. La décompensation peut conduire à des états délirants, qui peuvent être ponctuels ou sur la durée. Ce risque de décompensation montre bien l’intérêt pour les personnes exilées d’être accompagnées dans cette préparation.
Mélanie Marcos, juriste :
Lorsqu’un demandeur d’asile dépose une demande d’asile, il a 21 jours pour envoyer son récit de vie en français à l’OFPRA. Le récit de vie doit expliquer en des termes clairs et explicites les raisons qui ont poussé le demandeur à quitter son pays et les raisons pour lesquelles il ne peut pas rentrer dans son pays. Il est extrêmement difficile pour une personne de relater les persécutions qu’elle a vécues. Après un parcours migratoire extrêmement difficile et selon les conditions précaires dans lesquelles vivent les personnes (pas d’hébergement, peu ou plus d’argent puisque tout a été donné aux passeurs), elles sont généralement extrêmement fatiguées et très vulnérables physiquement et psychologiquement. En 21 jours, elles doivent trouver un traducteur qui accepte de traduire leur récit lorsqu’elles sont capables d’écrire, ou un écrivain public (personne qui rédige pour ceux qui ne savent pas écrire ou maîtrisent mal l’écriture).
On constate alors que les premiers récits sont souvent approximatifs (du fait des défauts de la traduction) et peu détaillés (du fait du manque de temps).
Après avoir écrit son récit, le demandeur d’asile doit alors passer un entretien avec un officier de protection de l’OFPRA. Il est indispensable que le demandeur d’asile y soit préparé. On demande à la personne de revenir sur son histoire avec précision.
Certaines personnes n’auront pas de difficultés à relater en détails les persécutions, tandis que d’autres, la plupart, auront des réticences : méfiance envers l’autre liée à une histoire personnelle ou aux mésaventures survenues lors du parcours migratoire, difficultés à verbaliser les différentes persécutions telles que les scènes de torture ou de viol.
Prenons l’exemple d’un demandeur d’asile qui fuit son pays car l’homosexualité est punie de peine de prison voire de peine de mort : certains demandeurs homosexuels qui ont grandi dans une culture où l’homosexualité est totalement bannie sont persuadés d’avoir le diable en eux. Il est ainsi difficile de révéler que la demande d’asile relève de l’homosexualité, certaines personnes le cachent donc et tentent de demander l’asile pour d’autres motifs. Ou lorsque l’homosexualité est acceptée par le demandeur, il reste difficile d’en parler avec précision, que l’on soit demandeur d’asile ou non. Les entretiens devant l’OFPRA dans ce cadre sont extrêmement intrusifs : comment avez-vous rencontré votre petit ami, quelle a été votre première attirance pour une personne du même sexe, quand était votre première relation sexuelle, avec qui, quand, où voyiez-vous cette personne, à quelle fréquence, comment vous cachiez-vous ? Imaginez-vous donc parler de votre vie sexuelle à une personne que vous rencontrez pour la première fois ? Pourtant, il est nécessaire d’établir l’homosexualité pour pouvoir obtenir une protection, il vaut donc mieux y être préparé.
Les motifs de rejets les plus courants dans les décisions de l’OFPRA sont les suivants : « manque de spontanéité », « vécu peu personnalisé », « récit peu détaillé » ou encore « propos convenus ». En raison du psychotraumatisme, il est nécessaire que les personnes soient préparées aux éventuelles questions qui pourraient leur être posées afin qu’elles se trouvent le moins décontenancées possible lors de l’entretien avec l’officier de protection.
Si l’OFPRA rejette la demande, le demandeur d’asile peut faire un recours devant la Cour nationale du droit d’asile qui peut convoquer le demandeur d’asile à une audience si les motifs du recours sont suffisamment sérieux (le rejet par ordonnance, sans audience, est de plus en plus courant). Dans ce cas, le demandeur sera entendu par une formation de trois juges s’il est en procédure normale ou par un juge unique s’il est en procédure accélérée. Une préparation à l’audience est à nouveau nécessaire. Le demandeur d’asile se trouve souvent à ce moment de la procédure désemparé car une instance française (l’OFPRA) vient de le considérer comme un menteur. Il doit alors « se justifier » auprès d’une nouvelle instance. Il est alors souvent nécessaire que le demandeur d’asile trouve un soutien solide à cette étape de la procédure.
Pour lire ou relire la première partie de cet entretien, c’est ici !
© Illustration de Flo Love.
Mélanie Marcos, Aziliz Quillévéré et Flo Love
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