Elliott Verdier → 24 janvier 2018
Asad lève difficilement son corps bedonnant pour s’en griller une au balcon. Comme si les dix dernières avalées dans l’heure n’avaient pas suffi. Une soudaine pluie déverse avec rage son torrent. Son fracas frénétique interrompt bruyamment toute discussion. Les derniers rayons du soleil noyé se dissipent sans résistance derrière l’épaisse couche de nuages, teintant d’orange le manteau du ciel orageux. Le jour tire son rideau, la nuit patiente son tour. Durant quelques instants, nous n’appartenons plus au même monde, n’habitons pas la même Terre. Comme rebus de l’existence. Ni le soleil, ni la lune ne daignent poser sur nous leur lumière salvatrice et dessiner l’obscurité de nos vies. Un entre-deux spectaculaire et intemporel qui ravive douloureusement la mémoire des hommes qui m’entourent, infligeant à leur regard grave une tristesse toute aussi éloquente. Bientôt la pluie calme sa colère et la terre sèche ses larmes. La nuit gagne le creux de la vallée, et nous enlace de sa noirceur ubiquitaire. Le crépitement des longues bouffées d’Asad, que je perçois à quelques mètres de là, témoigne du lourd silence qui s’est installé dans l’unique pièce de sa maison. Une pièce qu’il partage avec Hussein et Jafar, ses colocataires d’infortune, afghans eux aussi, de 24 et 28 ans.

Nous sommes à Cisarua, en Indonésie, à deux heures théoriques de Jakarta. Théoriques, car j’en ai mis quatre pour venir, et que j’en mettrai sept pour repartir. Cisarua n’est pas un village, mais pas une ville non plus. C’est une route principale toujours bondée, une ou deux supérettes modernes, puis des toits qui s’érigent au hasard des chemins grimpants. J’oubliais le Pizza Hut désert, dont on se demande comment il atterrit dans ce trou insignifiant. Il y règne une vie poussiéreuse et oubliée, rien ici ne porte la trace d’une activité passée, ni le présage d’un emballement futur. On se demande également pourquoi, et comment, les 4000 demandeurs d’asile et réfugiés afghans qui la peuplent, ont échoué ici.
Pour cela, il faut se pencher sur les origines du problème. Il existe en Afghanistan, quatre principales communautés : les Pashtuns, communauté à laquelle appartiennent les talibans, et qui possèdent le pouvoir politique en place ; les Hazaras, seule communauté chiite occupant le centre montagneux du pays ; les Tadjiks, originaires du Tadjikistan, la première en nombre sur le territoire ; et enfin les Ouzbeks, d’Ouzbékistan, la communauté la plus discrète. Focalisons-nous sur les deux premières citées, car leur antagonisme est la source de l’exil de milliers d’Hazaras, dont ceux que je rencontre aujourd’hui. Ces derniers sont sujets aux discriminations ainsi qu’à l’asservissement depuis plus d’un siècle, quand on les troquait encore pour quelques sous. La cause du mépris qui les heurte, c’est leur attachement au Chiisme, dans un pays totalement Sunnite. Et cet écart religieux est un prétexte qui leur vaut aujourd’hui encore, la haine de leurs voisins et compatriotes Pashtun, mais surtout, des talibans.

Chaque jour, on me montre des nouvelles exécutions filmées dans une impunité infecte. Des Hazaras, au hasard d’une route, tombés au mauvais endroit, au mauvais moment. A titre d’exemple. Des exemples par centaines. C’est un climat de peur qu’instaurent ces hommes enturbannés, comme cette bombe qui envola 126 personnes dans une école de Quetta. Située au Pakistan, non loin de la frontière afghane, cette ville est le fief encore bien trop vulnérable des réfugiés Hazaras. De cette bombe, j’entends régulièrement la perte d’un être cher, souvent un frère, parfois deux. Son éclat résonna comme le départ de beaucoup de jeunes, envoyés par leur famille dans l’espoir d’un futur moins sanglant.

Sur les terres afghanes, on s’expose à d’autres problèmes. Jamshid, 23 ans, me raconte avoir vécu dans un petit village isolé, non loin des montagnes talibanes. Souvent attaqués, et contraints aux compromis, les habitants résistaient tant bien que mal à leurs impérieux voisins, protégeant coûte que coûte leur propriété agricole, unique source de survie. Tout prit fin dans le feu. Dans une ultime visite, les talibans allumèrent le village telle une vulgaire torche. Une fois leur maison et récoltes en cendre, la famille de Jamshid dut vendre son bétail pour l’envoyer seul, loin d’un danger omniprésent et d’une misère inexorable. « Dieu seul sait ce qu’il est advenu d’eux. » conclut-il. Norullah, qui nous écoute depuis un moment, poursuit. « Je suis parti car on a tué mon père par ma faute. Un des jeunes du village se faisait enrôler pour devenir kamikaze, je l’ai aidé à fuir. Ils sont venus chez moi durant mon absence, et m’ont puni en m’enlevant mon père, et jurant à ma mère de revenir pour moi. Un oncle m’a aidé à parvenir jusqu’ici, mais je n’ai plus de nouvelles. Heureusement, certains ici me dépannent, mais bientôt, j’irai dans les camps.» Les camps de réfugiés indonésiens ont mauvaise réputation à Cisarua. Les rumeurs circulent comme quoi des dizaines de personnes s’entasseraient dans quelques mètres carrés. L’hygiène déplorable et la malnutrition les rongeraient, et condamneraient leur vie d’exilé à une souffrance certaine, aussi bien psychologique que physique. C’est le prix quand on n’a pas le sous. Norullah achève ses craintes : « Au moins, je serai en vie. », et repart jouer aux cartes avec les autres.

Comme lui, ils sont neuf dans cette maison à avoir fui leur pays. Neuf jeunes de 15 à 23 ans. Ils ont quasiment tous emprunté le même chemin indigent : d’abord l’Inde, puis la Thaïlande, ensuite la Malaisie et pour finir, ici. Le dernier trajet ne se fait qu’illégalement. L’ensemble coûte une fortune, généralement 7 000 dollars (environ 5 550 euros) par personne. Mais ce n’est pas tout, pour eux, le laborieux périple ne s’arrête pas ici, à Cisarua. Le but ultime, c’est l’Australie. Chaque réfugié en Indonésie n’a en tête que « le pays de la chance ». C’est un discours qu’ils entendent depuis longtemps, et l’Australie s’offre à leur imagination comme l’unique paradis radieux, libre et prospère. Ils me disent que c’est le seul endroit qu’on leur a indiqué, et qu’ils ne sauraient pas tenter leur chance ailleurs. Alors dans la précipitation de leur départ, beaucoup n’ont pas cherché d’autres issues à cette voie prédestinée. Mais comment faire pour atteindre la terre tant rêvée ? Car elle ne s’offre pas facilement. Loin de là.

Absolument tous pensaient pouvoir atteindre les côtes australiennes par voie illégale. À bord de ces fameuses embarcations de « boat people », aussi frêles que meurtrières, qui sombrent régulièrement dans les eaux profondes, bien avant l’arrivée. L’Indonésie n’était alors qu’une escale parmi les autres. Un dernier passage pénible avant la traversée finale. On touchait quasiment du doigt le sanctuaire fantasmé. Mais depuis peu, les règles ont changé. Tony Abbott, le premier ministre australien d’extrême droite fraîchement élu, a fermement serré la vis et les frontières jadis poreuses ont été transformées en rideau infranchissable. Chaque bateau s’approchant illégalement est immédiatement repéré puis intercepté par la marine australienne. Leurs passagers sont débarqués, et seules deux possibilités s’offrent à eux : le retour dans leur pays, où ils sont menacés de mort, ou l’enfermement dans un camp de rétention, pour une durée indéterminée. Ainsi s’apparente l’opération militaire « frontières souveraines », pour laquelle Tony Abbott a été, en majeure partie, sollicité.
Le flux migratoire bouché, les calculs sont rapides. Si 14 000 réfugiés en Indonésie rêvent aujourd’hui des abondances australiennes en toute légalité, combien seront-ils demain ?

Cet après-midi, comme tous les autres, Cisarua grouille et sature d’habitants. On se bouscule souvent sans se regarder, les deux roues motorisées vous klaxonnent de toute part, et manquent à chaque coin de rue l’accident fatal. Avec Asad, Jafar et Hussein, comme de nombreux autres, nous habitons à deux pas du marché. « Bazar ganda » (le « marché du pourri » en persan) est le surnom donné à cet endroit dont votre sens olfactif ne sort pas indemne. Les déchets et autres têtes de poulet jonchent les rues dépavées et offrent aux mouches un festin irrésistible. Combien de temps encore, des réfugiés qui ne partagent ni la langue, ni l’alphabet, ni la culture de ce pays devront-ils rester là ? Quelles démarches leurs sont aujourd’hui accessibles pour atteindre leur but, l’exil en Australie ?

A leur arrivée, tous se rendent au bureau de l’UNHCR (United Nations High Commissioner for Refugees), à Jakarta. On leur remet un premier papier qui atteste leur demande d’asile, sur lequel est inscrite la date de leur confirmation de demande d’asile. A cette date précise, souvent quelques mois plus tard, ils doivent revenir au même bureau pour obtenir le second papier, qui sera cette fois une demande du statut de réfugié. Sur ce second papier est indiquée une nouvelle date, celle de leur interview pour obtenir le fameux statut. Il faut encore attendre de nombreux mois, souvent plus d’un an, avant de passer l’entrevue tant attendue. Si nous récapitulons, cela fait déjà deux ans, environ, qu’ils patientent pour l’obtention de ce statut. Un précieux sésame qui légitimerait leur présence ici, et leur permettrait de prétendre à une terre d’accueil.
Lors de cette interview, l’UNHCR tente de retracer le parcours des demandeurs d’asile, de leur vie passée, et établit un dossier regroupant toutes les informations possibles à leur sujet. L’interrogatoire, puisqu’il s’agit de cela, peut durer 30 minutes comme 9 heures. Les temps varient à chaque nouvelle personne que je rencontre. Tout comme la réception de la carte de réfugié qui découle de l’entretien. Cette dernière oblige encore de quelques mois la présence de son nouveau possesseur sur le sol indonésien.

Enfin, la dernière étape qui suit, c’est l’acceptation du dossier par l’Australie. Infiniment longue, cette étape est surtout incertaine. Combien de dossiers, sur les milliers en attente, seront-ils analysés, puis approuvés ? Avec la nouvelle politique « anti-immigration » en place, les chances sont terriblement minces. Omid et ses larmes me racontent être en Indonésie depuis quatre années, son dossier récemment refusé par l’Australie, il doit encore en attendre quelques unes de plus le verdict d’autres pays, comme la Norvège, ou le Danemark. « Un jour ici, loin de ma famille, équivaut à un an. Et que représente tout le temps que je passe ici, à ton avis ? Une vie.». Combien de vies s’écoulent ainsi, sans aucune aide, à Cisarua ?

Asad ronfle. Il est 15h. Les activités sont peu nombreuses par ici. Il suit parfois Jafar à la salle de muscu, où se retrouvent tous les amateurs de gonflette. On recroise les mêmes, éternellement, dans un quotidien devenu aussi informe qu’abrutissant. Beaucoup préfèrent le football, et les cris de spectateurs inlassables remplacent alors les rugissements virils des leveurs de fonte. Que faire d’autre, à Cisarua, quand on n’a ni le droit de travailler, ni le droit à l’éducation ? Lorsqu’à leur arrivée, ce pays les prive de ces droits fondamentaux, il les condamne à des années d’errance et de rejet, des journées d’un sommeil troublé, des milliers d’heures sur un portable, et chaque minute à la pensée de leurs proches. Souvent inerte, leur regard flou échoue dans un monde lointain, passé ou futur. Ils fixent alors ce mur vaporeux et ces nuages plâtrés dans un silence distant. Hussein me confie : « A en devenir fou. ».

Ne pas donner le droit de travailler, c’est marginaliser. Il est, pour eux, non-seulement extrêmement difficile de s’insérer auprès de la population locale, mais aussi de survivre financièrement. L’UNHCR ne donne aucun secours, ni financier, ni social. Tous ici, reçoivent la précieuse aide de leur famille ou amis. Mais cette assistance est bien souvent limitée dans la durée, et ceux qui jamais ne pensaient rester plusieurs années ici, voient fatalement l’heure des camps arriver. Démunis, ils sont aussi les proies faciles de locaux véreux, dont les intentions bourbeuses visent leur argent. Pour les réfugiés, quasiment tout est plus cher : de la salle de gym à la piscine, en passant par le simple marchand de bananes, mais surtout, les loyers. C’est une véritable aubaine pour les propriétaires, qui profitent largement de cette recrudescence de locataires désespérés. Dans les nombreuses chambres que j’ai pu visiter, je constate des problèmes récurrents : les murs d’un autre âge absorbent l’humidité et libèrent une odeur fétide, ou encore cette eau marronnasse qui s’écoule du tuyau servant de douche. Nombreux sont ceux qui se plaignent de nouvelles maladies de peau. Problème encore, la santé est si chère qu’elle leur est complètement impossible. « Combien de temps je peux tenir avec trois cailloux dans la vessie ? », me demande Mohibullah, déjà là depuis plus d’un an. Il a récemment fait des radios qui l’ont quasi ruiné, et me montre ainsi les trois tâches blanches qui le tordent de douleur. A 1 000$ la journée hospitalisée, elles risquent encore de loger quelques temps dans son corps peiné.
Quand certains se contentent donc de gonfler leur prix, d’autres vont jusqu’à les racketter et même les cambrioler. Personne ici ne se défend, par peur d’un probable renvoi en Afghanistan. On me signale même des disparitions de t-shirts et de pantalons lorsqu’ils laissent leur linge sécher. Comment se plaindre à une police corrompue qui les taxe parfois sous menace de renvoi ?

Quant à l’éducation, les enfants de réfugiés n’y ont pas accès. Les écoles leur sont fermées. J’observe Faiza, accroupie près de la fenêtre, courbée sur ses devoirs d’anglais. Deux heures qu’elle n’a pas décroché. Elle prend des cours auprès d’un autre réfugié, que ses parents connaissent. C’est la seule chose qui les occupe, elle et ses deux sœurs. Les maths, les sciences, la littérature, elles n’en ont pas entendu parler depuis plus d’un an. Des amis non plus. Enfermées chez elles, les trois filles subissent une solitude indigne d’une enfance où l’on se forge, où l’on se construit. La plus âgée, Fereshte, a 18 ans. La timidité qui rougit ses joues et abaisse ses yeux, témoigne du temps qui s’est écoulé depuis sa dernière rencontre avec un jeune homme. Tandis que Fatema, la petite dernière de 9 ans, frétille d’excitation et ne tarde pas à faire de moi son compagnon de jeu tant désiré. Lorsque je quitte leur tanière, un peu plus tard, je les abandonne à leur isolement, à ces jours frustrés aux joies spoliées ; des rêves comme seuls camarades.

Comme une lueur venant éclaircir ce sombre tableau, l’initiative de deux jeunes afghans dont je dois taire le nom : la « Cisarua Refugee School ». A eux deux, défiant les interdits imposés par le pays, ils fondent la première école entièrement destinée aux réfugiés, dont j’ai la chance d’assister aux premiers pas. Ils réunissent les parents de probables élèves, desquels ils perçoivent une cotisation, et payent ainsi le loyer d’une maison, trois étroites pièces et une courette. Les enseignants, réfugiés également, sont bénévoles. Le fonctionnement général de l’école est mis en place dans une simplicité inaccoutumée, et confère au projet une légèreté paradoxale.

Les afghans et indonésiens, à l’image de cette école, ne se mélangent guère. Sauf rares exceptions, ils se croisent quotidiennement dans une indifférence embarrassée. Les rares exceptions peuvent inclure ces soirs où les hommes lâchent prise dans le vide de la nuit, se laissant voguer au charme charnel d’une prostituée. Un hôtel du coin est réputé pour ça. Il voit défiler des silhouettes d’afghans résignés, fatigués d’attendre et lassés du monde masculin dans lequel ils croupissent. Car oui, sauf quelques familles venues ensemble, les réfugiés à Cisarua sont tous des hommes. Considérés comme plus forts, plus débrouillards et plus aptes à travailler, ils sont propulsés dans cette communauté sans femme. Le manque se fait rapidement, et accentue le vide laissé par l’absence de leurs proches, intrinsèquement lié à leur quotidien neurasthénique.

Afin de fêter mon départ imminent, Asad, Jafar et d’autres, me proposent une virée en « disco ». Il m’a fallu quelques instants à l’intérieur pour réaliser que « disco » n’avait pour nous, pas le même sens. L’obscure salle enfumée camoufle dans son antre des hommes statiques. Ils observent le spectacle qui s’offre à eux et à leur regard vorace. Les basses assourdissantes, qui cognent dans mon crâne, semblent les transformer en automates sexuels, tandis que des appâts de chair s’alignent dénudés sur les banquettes rouge sang. Une femme âgée, vêtue d’un polo aux couleurs du bordel, m’agrippe fermement. Elle me traîne devant les filles. « Les filles », oui, car bien trop jeunes pour être des femmes. Elle les pointe d’un laser qui glisse et fend leur corps adolescent, attendant que je fixe ma proie. Je vois leur regard désenchanté. Les secondes s’écoulent lentement. Impatiente de combler « le blanc » que je suis, l’entremetteuse en appelle deux qui accourent maladroitement, perchées sur des très, trop, hauts talons. Mon refus embarrassé permet à Asad et Javid, le benjamin de la bande, de monter fraîchement accompagnés à l’étage, pour une heure.

Le lendemain s’avère nettement moins festif. Les corps inertes se sont avachis depuis notre retour à 10h du matin, et n’ont pas bougé depuis. Les esprits, absentés, ont repris le dessus, et laissent aux prunelles troubles la charge de leurs pensées. Du regret, peut-être. Du regret pour Asad, certainement, qui gifla la gamine de 16 ans qui voulue terminer sa passe trop tôt. Il bredouille en persan ce que personne ne semble écouter, et pourtant Hussein me traduit : « Je suis un autre homme, je ne me reconnais plus. » La honte l’exile sur le balcon. Il prétexte sa clope, alors qu’il les avale depuis des heures à l’intérieur. Une soudaine pluie déverse avec rage son torrent. Son fracas interrompt bruyamment toute discussion. Les derniers rayons du soleil noyé se dissipent sans résistance derrière l’épaisse couche de nuages, teintant d’orange le manteau du ciel orageux. Le jour tire son rideau, la nuit patiente son tour. Durant quelques instants, nous n’appartenons plus au même monde, n’habitons pas la même Terre. Comme rebus de l’existence. Ni le soleil, ni la lune ne daignent poser sur nous leur lumière salvatrice et dessiner l’obscurité de nos vies. Un entre-deux spectaculaire et intemporel qui ravive douloureusement la mémoire des hommes qui m’entourent, infligeant à leur regard déjà grave une tristesse toute aussi éloquente. Bientôt la pluie calme sa colère et la terre sèche ses larmes. La nuit gagne le creux de la vallée, et nous enlace de sa noirceur ubiquitaire. Le crépitement des longues bouffées d’Asad, que je perçois à quelques mètres de là, témoigne du lourd silence qui s’est installé dans la pièce. « Un jour, on viendra te voir librement en France. Je te présenterai ma femme et ma fille, tu verras comme elles sont belles. On vivra loin de tout ça, en paix. » Jafar ajoute d’une voix rocailleuse, de celles qui n’ont pas parlé depuis un moment, « Inch’Allah ».

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