Veridiana Mathieu et Giada Ganassin → 3 juillet 2020
100% des utilisatrices de transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agression sexuelle. Le sentiment d’insécurité que les femmes ressentent dans les transports est si commun que les stratégies d’évitement mises en place paraissent inconscientes et naturelles. Pourtant, leurs conséquences ne sont pas anodines…
Un phénomène massif et généralisé
Ces violences se produisent dans tous types de transports en commun comme dans les métros, les bus, les trains, les trams, mais aussi dans les taxis et VTC. Les violences dans les transports peuvent aller du harcèlement sexiste, comme des sifflements, des regards insistants, des commentaires invasifs, insultes ou menaces… aux violences sexuelles comme l’exhibition, harcèlement sexuel (gestuelles à connotation sexuelle, avances sexuelles…), agressions sexuelles (frottements, mains aux fesses…) ou viol. Les victimes ne sont pas toujours conscientes que ces faits relèvent de violences ou harcèlement.
Quelques chiffres du Haut-Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes 1 pour comprendre l’ampleur d’un phénomène massif et généralisé :
- 100% des utilisatrices des transports en commun ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles ;
- dans les transports en commun, 2/3 des victimes d’injures et insultes sont des femmes, tout comme la majorité des victimes de violences sexuelles ;
- les femmes sont davantage victimes de violences sexistes et sexuelles dans les bus et bus scolaires (ce phénomène touche particulièrement les filles et jeunes femmes, dans plus de 50% des cas, la 1ère agression intervient avant 18 ans) ;
- Les violences sont plutôt commises dans la journée, entre 8h et 20h, au moment où les femmes fréquentent le plus les transports en commun ;
- 6 femmes sur 10 craignent une agression ou un vol dans les transports franciliens contre 3 hommes sur 10.
Les taxis et entreprises de VTC ne sont pas épargnés. En France, un hashtag (#UbercestOver) créé sur les réseaux sociaux à la suite d’un témoignage a dévoilé de multiples récits d’agressions de femmes utilisatrices de l’entreprise de VTC. Récemment, après plusieurs demandes de transparence sur cette question, l’entreprise américaine a annoncé avoir reçu 6 000 plaintes pour agressions sexuelles aux États-Unis entre 2017 et 2018. Cela est d’autant plus problématique car ce type de transport est souvent utilisé par les femmes pour éviter les transports en commun, pour des raisons de sécurité.
Des conséquences graves pour toutes les voyageuses
Le harcèlement et les violences faites aux femmes dans les transports sont si courantes qu’elles peuvent paraître « habituelles » pour la plupart des utilisatrices. Cela constitue pourtant une violation de leurs droits humains comme la liberté de circuler et le droit à la sécurité. Ces violences ont un impact direct sur la mobilité des femmes. Cela a des conséquences plus lourdes pour les femmes qui sont obligées de prendre les transports en commun pour se rendre au travail. Elles n’ont pas le choix d’éviter ces espaces, malgré un sentiment d’insécurité. Les femmes sont d’ailleurs plus dépendantes des transports en commun que les hommes : deux tiers des voyageurs.euses sont des femmes2.
La peur que ces violences engendrent, provoque la création de stratégies d’évitement mises en place par les utilisatrices, de façon consciente ou non, comme par exemple éviter les bus la nuit ou avoir recours au taxi ou VTC pour rentrer seule le soir. Cela peut donc provoquer une barrière à la sociabilité et a également des conséquences économiques : emprunter un taxi ou VTC implique un coût supplémentaire que toutes ne pourront pas se permettre.
On peut aussi constater des changements de comportements (qui ne sont pas pour autant efficaces) comme modifier sa tenue vestimentaire : éviter les jupes et robes quand on prend les transports, éviter toute tenue qui pourrait paraître « trop sexy » pour ne pas attirer l’attention… Toutes ces attitudes sont adoptées par les femmes car elles ne se sentent pas en sécurité dans l’espace public, ce à quoi les hommes ne sont pas ou peu confrontés.
En freinant la liberté et mobilité des femmes, les violences dans les transports en commun ne font ainsi qu’augmenter les inégalités et renforcent les stéréotypes de genre.
Comment y mettre fin?
Du harcèlement sexiste aux violences sexuelles : ces comportements sont aujourd’hui punis par la loi, les victimes peuvent porter plainte. La difficulté se trouve dans l’application effective de la loi et l’efficacité de celle-ci pour mettre fin aux violences au sein des transports.
Pour ce qui est du harcèlement sexiste, les agents de sûreté de la RATP et de la SNCF sont habilités pour constater le délit « d’outrage sexiste », cependant, ces contraventions sont encore peu appliquées car difficiles à faire constater, rarement une violence ne va se passer sous les yeux d’un agent.
Des solutions sont cependant possibles pour mettre fin à cela.
- De nombreuses militantes et associations comme Stop au Harcèlement de Rue soulignent qu’il est essentiel de miser sur la prévention et la sensibilisation. La fin de ces violences ne peut que passer par la destruction des stéréotypes de genre et le changement des comportements sexistes depuis le plus jeune âge. Attention cependant aux fausses bonnes idées pour des campagnes de sensibilisation : les agresseurs ne sont pas des monstres cachés dans les recoins des gares, tous les hommes peuvent être concernés. Il ne faut également jamais mettre la faute sur la victime, il ne s’agit pas de demander aux voyageuses de faire attention.
- Toute personne travaillant dans les transports, qu’elle soit conducteur.rice agent en station, doit être formée pour mieux accueillir les récits de violence et orienter les victimes.
- Les opérateurs doivent mettre en place des systèmes d’alerte efficaces. Certains numéros de signalement existent, comme le 3117 (appels), 31177 (sms) ou l’appli Alerte 3117 pour la SNCF, mais encore peu connu. Ce type de système gagnerait à être plus largement diffusé, en les inscrivant sur les titres de transports par exemple.
- Intégrer la question du genre dans l’élaboration des politiques urbaines et de transports : penser ces espaces de façon à ce que tou.t.e.s puissent s’y sentir en sécurité3. Concevoir les gares, stations et arrêts afin d’éviter des endroits sombres et isolés par exemple. D’autres solutions plus immédiates peuvent également être mises en place comme « l’arrêt à la demande » après 22h dans les bus, afin de permettre aux femmes de descendre plus près de leur domicile. Cela a été testé dans plusieurs villes de France et ailleurs, et gagnerait à être généralisé.
- Pour les taxis ou entreprises VTC, des plateformes de plaintes rapides et un soutien aux victimes dans leur suivi psychologique et juridique doivent être développés, tout en appliquant un contrôle plus rigoureux des chauffeurs. Certaines associations comme HandsAway4 étaient intervenues auprès du Service Client de Uber pour les former à recevoir la parole des victimes et sensibiliser les conducteur.rices aux agissements sexistes et sexuels, mais il semble qu’un grand travail reste à faire face à l’ampleur des témoignages d’agression sur les réseaux sociaux.
- Lutter contre le sexisme commence aussi dans les transports et espaces liés à ceux-ci : interdire les publicités sexistes au sein des transports publics peut ainsi éviter de véhiculer les stéréotypes de genre.
Veridiana Mathieu et Giada Ganassin
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