Odhràn Dunne → 22 avril 2020
Photographe depuis environ deux ans, j’ai assisté à relativement peu de manifestations. Je ne suis donc pas expert de cet exercice, j’avance à tâtons, découvrant un peu plus à chaque fois.
Durant les manifestations je ne fus pas confronté aux violences outre mesure, malgré tout, j’ai pu me rendre compte lors de ces deux dernières années d’une certaine évolution, ce qui est déjà peut-être un indicateur.
Le 1er mai 2018 je me suis rendu dans le cortège car depuis quelque temps déjà l’on entendait parler des « black blocs » et des violences que leur émergence pouvait impliquer (au sein des forces de l’ordre comme des manifestants). Cette violence bilatérale pouvait se faire ressentir comme un étau lorsque l’on était photographe. Les « casseurs » ne voulant pas être pris en photo pour ne pas être reconnus et la police, à priori, non plus.
Lors de cette manifestation c’est la première fois que j’assistais à des actions comme celles qui furent menées par les Black Blocs en s’en prenant aux vitrines du McDonald’s de l’angle de la rue Buffon, et aux voitures du concessionnaire Renault du boulevard de l’hôpital1.
Mais c’est également une des premières fois où je pouvais constater la réponse des forces de l’ordre. En peu de temps ils reprenaient le dessus à coup de lacrymogène, canon à eau et en scindant le cortège. Ils avaient réussi à le faire reculer jusqu’à la Bastille pour finir en « nassant » (méthode d’encerclement par les forces de l’ordre) les derniers manifestants sur le boulevard Richard-Lenoir.
Quelques temps après, et quelques manifestations plus tard, il y eut les premiers actes des gilets jaunes.
Ce qui a suscité dans mon entourage, quelques questionnements sur la place du photographe dans ces manifestations. Comment représenter le mouvement, sous quel angle, à quelle distance, pendant combien de temps, etc. ?
Avec le mouvement des gilets jaunes, une nouvelle population a fait son apparition au sein des manifestations. Une nouvelle population jusqu’alors peu entendue, avec de nouvelles revendications et une envie de manifester différente (peu comprise et parfois mal encadrée, ou de manière mal adaptée par les forces de l’ordre)2. En son sein beaucoup de personnes étaient désireuses de photographier ou filmer ce mouvement, que ce soit de manière militante (car en opposition au traitement des médias) ou plus personnelle.
Ces événements étaient ainsi amplement couverts, professionnellement ou non. Fort de ce constat, j’ai commencé à vouloir représenter le mouvement autrement.
J’ai repris les questionnements que j’avais pu partager avec certains collègues et/ou amis sur notre position et le message que l’on voulait donner à tout cela. J’ai alors décidé de me défaire des violences, car je savais qu’elles allaient être amplement captées.
Me sont alors apparus les reflets des gilets jaunes dans les vitrines. Ils unifiaient la foule en mettant en avant leur symbole tout en dissimulant l’identité des manifestants du cortège. Cela permettait également de lier, en une superposition, un champ et son contre champs. Le décor (la ville), ses protagonistes (habitant, commerçant, passant, etc.) et le mouvement qui y prenait place.
Comment un mouvement marque-t-il une ville ? Quel impact cela a sur les autres, sur nous, et quelle est notre place dans tout cela ? Même si nous partageons certaines des revendications formulées, sommes-nous forcément des gilets jaunes, et inversement ?
Malgré mon intérêt pour les à-côtés, j’ai quand même assisté aux barricades enflammées des manifestants et aux répressions musclées des forces de l’ordre. La stratégie de dispersion qu’ils mettaient en place était devenue beaucoup plus rodée et mécanique que celle que j’avais vu auparavant. Jet d’eau pour faire reculer, lacrymogène pour disperser au loin, tenir à distance et lanceur de balles de défense (LBD). Une fois lancé c’était une machine implacable, rien ne pouvait empêcher le processus d’être mené à son terme, et il y avait peu d’indulgence.
J’ai couvert quelques actes supplémentaires des gilets jaunes et j’ai également suivi quelques manifestations interprofessionnelles des retraites. Avec toujours la même envie et la même démarche, mais cette fois-ci en m’intéressant au mouvement (physique) dans un mouvement (social) et à la place de l’individu à l’intérieur. J’ai donc entrepris de faire un travail avec des temps de pose long afin que seul les choses immobiles dans le cortège en mouvement soient net et lisible à l’image.
Avec ces dernières manifestations j’ai cru voir que les forces de l’ordre, et leur hiérarchie, n’avaient pas tellement essayé de faire évoluer les stratégies de maintien de l’ordre afin de s’adapter aux manifestants qui leur faisaient face. Aucune alternative à ce qui pourrait être considéré comme des dérives dues au encadrements ne fut trouvée. Le terme « violences policières » n’était, il y a peu de temps encore, pas reconnue par le gouvernement. Malgré cela toujours les mêmes blessures étaient à déplorer d’un rassemblement à l’autre, en atteste le travail du journaliste David Dufresne sur Twitter.
Le Monde a également publié des vidéos dans lesquelles les journalistes tentent, grâce aux différents angles vidéos des multiples sources présentes, de comprendre comment une blessure a pu advenir3. Le constat le plus affligeant n’étant pas de se rendre compte des bavures, et/ou excès, qui pourraient être volontaires, ou non, et qui résultent d’un système poussé à bout, mais de l’inaction des supposés gardiens de ce système.
Si aucune leçon n’est tirée par les institutions d’encadrement, il semble alors difficile d’espérer l’évolution d’une situation où l’écoute et le dialogue semblent se rompre, à dessein, ou pas.
© Photographies Odhràn Dunne
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