Jonas Matheron et Adèle Verlinden → 6 mars 2020
Le Hirak, « mouvement » en arabe, est le nom donné aux manifestations hebdomadaires qui se tiennent en Algérie depuis février 2019. La première de ces manifestations éclate le 16 février 2019 dans l’est de l’Algérie, mais c’est la journée du 22 février qui rassemble pour la première fois plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues des principales villes algériennes, dont la capitale, Alger. La revendication, qui cristallise les oppositions, se concentre dans un premier temps autour de la figure du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, gravement affaibli par un accident vasculaire cérébral survenu en 2013. Au pouvoir depuis 1999, ce dernier annonce le 10 février 2019 sa candidature à un cinquième mandat présidentiel.
Les manifestations contre « le cinquième mandat » s’intensifient tout au long du mois de mars, rassemblant jusqu’à plusieurs millions de personnes selon divers observateurs, aucun chiffre officiel n’étant communiqué par le régime.

Le 11 mars 2019, Abdelaziz Bouteflika renonce à se présenter et le 2 avril, il finit par démissionner, poussé vers la porte par le puissant chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah. Cependant, les revendications des manifestants dépassent très rapidement la seule personne du président de la République, en témoigne la popularité du slogan « Yetnahaw Gaâ » (« qu’ils dégagent tous ») qui devient, dès le mois de février 2019, un mot d’ordre fédérateur des rassemblements populaires. Les manifestants ne ciblent plus simplement le chef de l’Etat mais l’ensemble du système politique en place depuis les années 1990, voire depuis l’indépendance du pays en 1962. La corruption, l’absence de libertés individuelles et collectives, le non-respect des principes démocratiques, l’opacité d’un régime dans lequel l’armée occupe de fait, mais non de droit, une place centrale… sont autant de points critiqués par les Algériens révoltés. Le mouvement rappelle en cela les printemps arabes de 2011, desquels l’Algérie avait, en apparence seulement1, été exclue : la résurgence du célèbre slogan « le peuple veut la chute du régime »2 témoigne ainsi d’une continuité entre les printemps arabes et le Hirak algérien.
A la suite de la démission d’Abdelaziz Bouteflika, l’armée et son chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah se placent aux commandes de l’Etat algérien et parviennent à imposer une élection présidentielle au mois de décembre 2019, malgré un rejet massif de la part du Hirak et d’une grande partie du peuple algérien. Boycottée par plus de 60% des électeurs, cette élection porte à la tête du pays l’éphémère Premier ministre de A. Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune, pur produit du fameux « système » conspué par les manifestants 3.

Après 52 vendredis consécutifs de manifestations, le Hirak a fêté le 22 février 2020 sa première année. Si les Algériens se félicitent du caractère pacifique de leurs manifestations – dans un pays traumatisé par une décennie de guerre civile dans les années 1990, appelée la « décennie noire », entraînant d’importantes violences (entre 60 000 et 150 000 morts en dix ans des milliers de disparus) – de nombreux acteurs et témoins semblent aujourd’hui pessimistes. Le régime paraît avoir résisté aux contestations et le quotidien des Algériens ne s’est pas amélioré, dans un pays où l’exercice des libertés fondamentales reste largement entravé : en effet, la liberté d’expression et de manifestation est menacée par les arrestations d’opposants politiques qui se multiplient depuis le début du mouvement, à l’image du militant Karim Tabbou, plusieurs fois arrêté par les autorités depuis février 2019 4. La leçon du Hirak demeure néanmoins puissante : lorsque la situation politique, économique et sociale d’un pays devient insoutenable pour ses habitants, la contestation peut éclater à tout moment.
© Écrit par Jonas Matheron et dessiné par Adèle Verlinden
Jonas Matheron et Adèle Verlinden
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