LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Réforme de la justice : décryptage par une avocate

La réforme de la justice, présentée en Conseil des ministres en avril dernier, a fait parler d’elle compte tenu des vives oppositions manifestées tant de la part des magistrats, que des greffiers et des avocats. Mais que prévoit cette réforme et quels sont les enjeux de celle-ci ? Décryptage avec Claudia Venezia, avocate à la Cour et contributrice de l'aaatelier.

, et → 16 mai 2018

La réforme de la justice vise plusieurs domaines du droit notamment le droit de la famille et le droit pénal, mais a également pour objet de modifier des institutions judiciaires.

Droit de la famille : accélération des procédures

Aujourd’hui, lorsque des époux se mettent d’accord pour divorcer, ils peuvent avoir recours au divorce par consentement mutuel. Depuis le 1er janvier 2017, cette procédure se fait sans juge. Les époux peuvent également privilégier une voie contentieuse, c’est-à-dire avec un juge. Le divorce par cette voie-là se déroule en deux étapes. La première étape est celle de la conciliation, laissant en principe un temps au juge de vérifier si les époux ont véritablement l’intention de divorcer. En réalité cette étape permet surtout de fixer rapidement des situations d’urgence comme la résidence des enfants, l’attribution du logement familial ou la pension alimentaire. Puis, une fois cette première étape passée, le juge fixe les conséquences du divorce. Cette procédure est complexe et engendre des délais de plus en plus longs. Il faut d’ailleurs aujourd’hui compter environ deux ans pour divorcer.

Le projet de loi prévoit la suppression de la phase de conciliation obligatoire. C’est une avancée importante pour les libertés individuelles car il faut bien comprendre que le divorce a été instauré alors qu’il était encore très tabou au sein de la société. C’est la fin du rôle symbolique de conciliateur du juge, qui ne viendra plus prendre part dans le choix des époux de mettre fin à leur relation et leur mariage.

Toujours dans l’objectif d’accélérer les procédures dans le domaine familial, le projet de loi prévoit une expérimentation dans certains départements. Celle-ci aura pour objet de confier à la Caisse d’allocation familiale (CAF), qui est la branche « famille » de la sécurité sociale française, la possibilité de réévaluer la pension alimentaire des parents séparés ou divorcés. Aujourd’hui, la révision d’une pension alimentaire est faite par le Juge aux affaires familiales, qui est un juge spécialisé dans les problématiques de droit de la famille. Or, la CAF ne dispose pas des mêmes compétences que ce juge, de sorte que l’on peut craindre la non prise en compte des spécificités de chaque dossier et les moindres compétences juridiques du personnel de la CAF.

Droit pénal : modification de la procédure pénale 

Prolongation de la garde à vue sans contrôle d’un magistrat 

Aujourd’hui, la durée initiale de la garde à vue est de vingt-quatre heures, renouvelable une fois. Cette prolongation ne peut se faire que si le gardé à vue est présenté devant Procureur de la République, donc un magistrat.

Sous couvert d’une volonté de simplification du travail des acteurs de la procédure pénale, le projet de loi prévoit que le gardé à vue ne sera pas systématiquement présenté devant ce magistrat. Aussi, en cas de volonté de prolongation de la garde à vue, le Procureur ne verra le gardé à vue que s’il l’estime nécessaire. Dans les autres cas, la police ou la gendarmerie décidera seule de cette prolongation. Ce point fait débat.

En effet, la garde à vue constitue une mesure privative de liberté qui touche directement le gardé à vue. C’est sa liberté d’aller et venir, liberté consacrée par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui est directement visée. Or si cette liberté peut être limitée pour des raisons évidentes, comme notamment le bon fonctionnement d’une enquête, il s’agit tout de même d’une restriction significative. Pour compenser la mise à mal d’une liberté aussi essentielle que la liberté d’aller et venir,  le Procureur contrôle les mesures prises pendant la garde à vue. Il peut apparaître dangereux de donner une telle responsabilité à un policier ou un gendarme sans le contrôle d’une autorité distincte. Ainsi, soumettre la prolongation d’une garde à vue à la présentation du Procureur – et donc d’un magistrat – permet d’assurer un contrôle et une protection des droits de la personne gardée à vue.

Expérimentation d’un tribunal criminel

Le projet de loi propose également d’expérimenter dans certains départements un tribunal criminel départemental pour juger les crimes punis de 15 à 20 ans de prison. Ces tribunaux seront composés de cinq magistrats.

Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, les juridictions sont compétentes pour juger une infraction en fonction de la gravité de cette infraction (Tribunal de police pour les contraventions, Tribunal correctionnel pour les délits ou et Cour d’assise pour les crimes)1. Le Tribunal correctionnel serait donc la création d’une quatrième juridiction intermédiaire, puisqu’elle jugerait les crimes punis de 15 à 20 ans de prison, laissant le jugement des crimes les plus graves (plus de 20 ans de prison) à la Cour d’assise. Ce tribunal tendrait donc à juger majoritairement les affaires de viol, de coup mortel ou de vol à main armée. Ici, on peut craindre que cela ait pour effet de minimiser la gravité de ces faits et les sanctions qui en découlent.

Par ailleurs, ce tribunal criminel ne serait pas composé d’un jury d’assise, c’est-à-dire, un jury composé de citoyens tirés au sort. Or cette composante est la spécificité de la Cour d’assise. En effet, en France, il est considéré que pour les crimes, et donc les infractions les plus graves, il est important de « nuancer » le jugement sur l’accusé. Cette balance se fait grâce à un équilibre entre l’approche très juridique des magistrats professionnels et la vision de la société sur ce crime. Ainsi, les personnes accusées de crime, qui seraient jugées par un Tribunal criminel, ne bénéficieraient plus de cet équilibre car elles seraient exclusivement jugées des professionnels.

Institutions judiciaires : fusion des tribunaux d’instance et de grande instance

Aujourd’hui, les tribunaux d’instance (TI) et les tribunaux de grande instance (TGI) sont compétents notamment pour gérer les conséquences financières d’un litige, c’est-à-dire d’un conflit. Ils traitent par exemple du montant des dommages et intérêts à la suite d’un préjudice subi par une personne. Ce qui différencie les deux tribunaux est surtout la proximité qu’il existe entre le Tribunal d’instance et les justiciables, et donc le tout un chacun. En réalité, le Tribunal d’instance traite souvent la plupart des petits litiges civils de la vie quotidienne dont les conséquences financières sont assez basses.

Le projet de loi souhaite fusionner les tribunaux d’instance et de grande instance. Or, cette fusion fait craindre la disparition d’un tribunal proche du justiciable et risque de rendre davantage contraignant l’accès à la justice, qui constitue pourtant un droit fondamental de l’être humain. Précisons que ce risque pourrait n’être que théorique. En effet, le projet de loi devrait prévoir le regroupement des deux tribunaux seulement lorsqu’ils sont situés dans la même ville et donc, les TI disparaîtront pour être fusionnés dans les tribunaux d’instance. Sinon, dans les villes où il n’existe actuellement que des tribunaux d’instance, ils seront tous maintenus.

En quelques mots dans les villes où il n’y a pas de TGI et seulement un TI, le TI existera toujours, simplement il prendre la dénomination de TGI. Il s’agirait donc davantage d’un changement de forme qui n’aurait que peu de conséquences sur l’approche de proximité inhérente au TI.  

On comprend donc que globalement, le projet de réforme tend à combattre la lenteur de la justice et vise à simplifier les procédures. Le droit pour tout justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable figure d’ailleurs parmi les droits humains protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme. La simplification de la justice devrait également passer par davantage de dématérialisation, principalement par le remplacement des supports papiers en supports numériques. A titre d’exemple, il est également envisagé par la réforme actuelle le dépôt des plaintes pénales en ligne, via internet.

Mais cette tendance à la simplification des procédures, déjà initiée sous la présidence de François Hollande, ne doit pas se faire au mépris des autres droits dont dispose le justiciable et notamment les protections dont il doit bénéficier lorsqu’il fait l’objet d’une mesure privative de liberté. Le justiciable doit également être en mesure d’être accompagné dans ses démarches et avoir accès aux informations lui permettant de bien comprendre les procédures qui sont souvent complexes.

© Collage de Joséphine Faisant sur image libre de droits.

Infographie explicative de la réforme

© Infographie de Ward Goes.
 

 

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