Inès Nathan et Chloe Kritharas Devienne → 2 mai 2018
Au 31 janvier, le ministère de l’Intérieur enregistrait encore 950 actes racistes en 2017 avec une augmentation des faits relevant d’actions violentes.
Mais qu’est-ce que le racisme ? Le racisme est d’abord une idéologie dangereuse venant hiérarchiser des supposées races et créer une classification entre les êtres humains. Le racisme vient à l’encontre de l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cette différenciation entre les êtres humains est fondée sur leur couleur de peau, leur religion ou encore leur appartenance à une ethnie. Le racisme a donné lieu dans l’Histoire de l’humanité à de graves crimes : génocide arménien, Shoah, esclavage… Et le racisme fait encore de graves dégâts aujourd’hui : la fuite des Rohingyas, persécutés car musulmans, en est un triste exemple très actuel.
Le racisme est une intolérance infondée qui a aussi des conséquences directes sur le quotidien de beaucoup de personnes en France. Il menace notre vivre ensemble et notre société. Il existe pour cela un arsenal juridique important venant à la fois donner les contours du racisme mais aussi permettre de punir les auteurs de racisme. Alors que dit le droit ?
En France, le droit prévoit deux principales formes de racisme :
- les contenus racistes, qui viennent limiter la liberté d’expression. Ils sont prévus et réprimés par une loi spéciale, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
- les actes racistes, qui sont punis par le code pénal. On dit que ces actes sont aggravés par leur caractère raciste et deviennent ainsi encore plus graves.
Aussi bien les contenus racistes que les actes racistes sont des infractions pénales et sont donc sont interdits et punis.
Les contenus racistes
L’injure à caractère racial et la diffamation à caractère racial :
L’injure à caractère racial est composée de deux éléments :
- une parole, un écrit, un geste ou un procédé adressé à une ou des personnes dans l’intention de la/les blesser ou de l’/les offenser,
- ceci à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Ici le caractère racial ne signifie pas que la ou les personne(s) sont visée(s) en raison de leur race, puisqu’il n’existe pas de race. Le caractère racial vient en réalité englober différents groupes ethniques, nationaux, ou religieux : « les noirs », « les arabes », « les juifs », « les musulmans », « les chinois », « les blancs », etc. Si le terme « race » est maintenu dans la loi, ce qui fait souvent l’objet de débats, c’est surtout parce que certaines personnes sont aujourd’hui encore visées par des contenus racistes à cause de leur supposée race.
Proche de l’injure à caractère racial, la diffamation à caractère racial comprend deux aspects :
- dire, écrire ou produire quelque chose de désagréable ou défavorable sur une ou des personne(s), peu importe que ce soit vrai ou pas,
- ceci à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Sans donner d’exemples concrets, qui ne feraient qu’exacerber certains préjugés ou clichés stigmatisants, la diffamation à caractère racial correspond souvent à l’attribution de certaines caractéristiques à des communautés : « les noirs sont comme-ci », « les juifs sont comme cela ».
La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence :
Plus souvent connu sous le terme « d’incitation à la haine », cette infraction est également proche de l’injure à caractère racial. Mais si l’auteur d’une injure ne cherche qu’à blesser la ou les personne(s) visée(s), l’auteur d’une incitation à la haine raciale souhaite, lui, l’adhésion des autres à ses idées. Il s’agit par exemple d’inciter à des actes violents contre une communauté.
Le négationnisme1 :
L’infraction de négationnisme vise à punir ceux qui auront contesté, nié, minoré ou banalisé de façon outrancière l’existence d’un crime contre l’humanité ou d’un génocide.
Cette infraction spécifique avait été initialement créée par la loi Gayssot en 1980, face à la montée de thèses de remise en question des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette loi s’était donc initialement limitée à la contestation de la Shoah. Depuis la récente loi « égalité citoyenneté », en vigueur depuis 2017, cette infraction a été élargie à d’autres crimes contre l’humanité et génocides. Par exemple, il est aujourd’hui également interdit de contester le génocide des Tutsis au Rwanda.
Apologie de crimes contre l’humanité :
Il s’agit de l’éloge ou l’approbation d’un crime contre l’humanité, comme par exemple la Shoah, étant précisé que le seul fait de faire naître dans l’esprit du public une appréciation positive sur un crime contre l’humanité, suffit à caractériser l’apologie.
Toutes ces infractions sont contenues dans une loi spéciale : la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté d’expression. Or, la liberté d’expression ne se limite pas qu’aux propos et il est aussi possible qu’un dessin, une musique ou toute autre forme artistique puissent être punis par la loi. Mais ici, la liberté d’expression vient se confondre avec la liberté artistique, qui accorde une plus large tolérance à ce format par rapport aux simples propos racistes. C’est par exemple le cas des caricatures, qui font rarement l’objet de condamnation car elles s’inscrivent dans la liberté artistique, liberté qui permet d’accorder plus d’indulgence aux contenus choquants.
Les actes racistes
Les actes racistes sont prévus, à la différence des contenus racistes, dans le code pénal.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi « égalité citoyenneté » en 2017, seules certaines infractions pouvaient présenter un caractère racial, comme par exemple les violences, le meurtre ou encore les dégradations de bien. Il y avait donc une sorte d’impunité face aux actes racistes qui, bien que pouvant constituer une infraction, ne pouvaient pas être aggravés par une circonstance aggravante de racisme. Depuis cette loi, toutes les infractions présentes dans le code pénal (et il y en a beaucoup) peuvent aujourd’hui être aggravées par leur caractère racial. Ce qui signifie concrètement que les peines seront notamment plus importantes.
Par ailleurs il existe un acte raciste spécifique par rapport aux autres infractions à caractère racial prévues par le code pénal : la discrimination à caractère racial.
En effet, ici, le caractère racial de l’infraction n’est pas une circonstance aggravante. Le caractère racial fait partie intégrante de l’infraction de discrimination. En réalité, pour caractériser une discrimination à caractère racial, il faut la réunion de deux éléments :
- un traitement défavorable ou une différence de traitement entre des personnes placées dans une situation comparable dans un domaine comme la vie professionnelle ou l’accès à un bien ou un service,
- qui doit pouvoir s’expliquer par un motif raciste.
La discrimination, sans le motif raciste, ne peut donc pas exister à elle toute seule. Tout comme une discrimination ne peut être caractérisée sans motif homophobe ou sexiste.
Ici, le motif raciste est toujours vu sous un angle large, à savoir en raison de l’origine ou de l’appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Refus d’entrée dans une boîte de nuit à des personnes en raison de leur origine, licenciement d’une personne en raison de sa religion ou encore refus de soigner une personne à cause de sa couleur de peau : la discrimination à caractère racial est vraiment l’affaire du quotidien. A cela vient s’ajouter la difficulté de réunir des preuves lorsqu’on allègue être victime de discrimination à caractère racial, et notamment le motif raciste. Comment prouver un licenciement discriminatoire si l’employeur ne dit pas clairement qu’il s’agit d’une motivation raciste ? La discrimination est souvent un acte silencieux qui ne dit pas clairement ses intentions racistes.
Face à l’ampleur du phénomène des discriminations et l’impunité qui régnait autour d’elles, les pouvoirs publics ont mis en place des actions de lutte contre les discriminations, notamment par le testing.
Le testing consiste à observer l’attitude adoptée par un potentiel « discriminateur » (un employeur, le videur d’une boîte de nuit, etc.) à l’égard d’un candidat « discriminable », qui ne se distingue que par son origine (une personne ayant la peau noire, une personne avec un nom à consonance étrangère, etc.).
Le testing peut avoir une vocation sociologique, afin de tester le risque de discrimination dans un domaine comme l’emploi, le logement, les banques, etc. Le testing peut aussi avoir une visée judiciaire afin de permettre d’aider une victime de discrimination à prouver celle-ci. Très concrètement, la victime va par exemple appeler un bailleur pour répondre à une annonce de location, en se présentant avec son nom à consonance étrangère. Puis une deuxième personne, complice de la victime, appelle à son tour, présentant un dossier de location identique mais avec un nom à consonance européenne. Si l’attitude du bailleur est différente selon le nom de la personne, le testing peut constituer un élément de preuve de la discrimination à caractère racial pour la victime.
Il est important de souligner qu’un large travail d’éducation mais aussi de dialogue avec les grands hébergeurs tels que Twitter, Facebook ou Google, a été initié récemment afin de faire face à l’ampleur du phénomène raciste sur Internet, où règne encore une grande impunité.
Et si vous êtes victimes ou témoins de racisme, il est important d’agir. Vous pouvez notamment le signaler ici ou auprès d’associations antiracistes !
© Photographies de Chloe Kritharas Devienne
Inès Nathan et Chloe Kritharas Devienne
L’aaatelier a besoin d’artisans! Devenez contributeur et proposez une publication: hello@laaatelier.org