Maëlys Amelin et Giada Ganassin → 14 mars 2018
Du supplice aux cellules
Si vous vous étiez baladé le 28 mars 1757 près de la place de l’Hôtel de ville à Paris, vous auriez pu assister, comme bon nombre de parisiens, au dernier écartèlement de l’Histoire de France, appelé aussi « supplice de Damien ». Condamné pour avoir tenté de tuer le roi Louis XV, Robert François Damien s’est vu arracher ses membres par quatre chevaux, après un « spectacle » macabre de deux heures et demie. Jusqu’au XVIIIème siècle, les individus reconnus coupables d’un crime étaient douloureusement punis, puis éventuellement exécutés, sur la place publique. La symbolique était importante et le spectacle devait dissuader les potentiels criminels des environs.
Supplice de Robert-François Damiens pour régicide sur la place de la Grève (actuelle place de l’Hôtel-de-Ville) à Paris le 28 mars 1757.
La prison comme on l’entend aujourd’hui n’a pas toujours existé. L’enfermement dans un cachot sombre et sale n’était généralement qu’une étape avant le supplice ou l’exécution, mais ne constituait pas la peine en elle-même.
L’évolution vers un système carcéral s’est faite non pas par pure humanité, mais davantage pour répondre aux évolutions de la société, qui rejetait alors le pouvoir du roi. A compter du XVIIIème siècle, on a délaissé la punition-vengeance, marque du pouvoir absolu du souverain sur le corps du condamné, pour une punition-défense, visant à protéger la société des criminels. On a donc adouci les peines, codifié celles-ci (c’est-à-dire, pour chaque crime = une peine spécifique prévue dans la loi) et le juge a obtenu de plus en plus d’indépendance dans son appréciation du crime et dans le choix de la peine. Le système pénal s’est alors développé. Le travail forcé ou le temps « perdu » (l’emprisonnement dans des conditions parfois inhumaines)1 sont progressivement devenus de nouvelles méthodes de punition.
Pour qui emprisonne-t-on ?
L’utilité de la peine (ou « sens de la peine ») est aujourd’hui clairement définie dans la loi :
« Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :
1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ;
2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »2
Le choix des mots du code pénal est important. La « protection de la société », la prévention du crime et « l’équilibre social » sont présentés comme les premiers objectifs tandis que le mot « sanction » ne vient que dans un second temps et il est vite suivi par « l’insertion ».
Si la punition (au sens pénal) s’exprime par utilisation croissante de l’emprisonnement, punir répond à plusieurs objectifs :
– rappeler la loi et éviter l’impunité ;
– protéger la société et mettre certains individus hors d’état de nuire ;
– réparer, restaurer ce qui a été subi par la victime ;
– transformer, changer celui qu’on punit (pour en faire quelqu’un de meilleur).
Questionner l’utilité de la prison nécessite d’adopter une vision dépassionnée et objective, pour tenter de répondre rationnellement à la question : « Comment peut-on assurer efficacement la protection de notre société ? ».
La compassion avec les victimes, la peur ou la haine que l’on éprouve vis-à-vis du coupable sont normales, humaines et bien souvent attisées par la couverture médiatique. Mais puisque nous évoluons dans un État de droit où l’on cherche à préserver l’intérêt collectif, on ne peut se contenter de considérer la prison comme un lieu clos insalubre, violent et mérité, où l’on parque un condamné sous le coup de l’émotion, pour ne plus s’en préoccuper par la suite. Un équilibre doit être trouvé entre la réparation aux victimes, absolument nécessaire, et l’efficacité de cet emprisonnement, en gardant en tête que le condamné sera un jour amené à sortir de prison. Cet équilibre ne doit pas dépendre non plus des réactions de l’opinion publique.
On parle de distinction entre justice et vengeance.
Punition ou école du crime ?
Le sociologue et anthropologue Didier Fassin3 rappelle que le nombre de personnes incarcérées depuis soixante ans est en constante augmentation (il a été multiplié par trois), avec une accélération depuis les années 2000. Pourtant, les cas de crimes graves ont tendance à diminuer.
La peine se traduit donc de plus en plus par un passage en prison, même pour les crimes jugés moins graves.
Or, force est de constater que l’objectif de protection de la société fixé par la loi (voir plus haut) n’est pas atteint et cela s’illustre par un important taux de récidive. L’Observatoire international des prisons (OIP) souligne que le risque de récidive est très élevé après une condamnation à de la prison ferme : 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont de nouveau incarcérées dans les cinq ans (soit plus de la moitié !).
En outre, les condamnés ne sont pas tous égaux face à la prison : milieu social, inégalités de revenus, détenus souffrant de maladies mentales, mineurs incarcérés… La prison reproduit et accentue aussi les inégalités et les vulnérabilités. Dans ce milieu hostile, certains sont victimes de l’emprise des autres (réseaux criminels, extorsions, radicalisation).
La récidive peut s’expliquer par de nombreux facteurs individuels, mais elle relève nécessairement d’une incapacité à réintégrer le fonctionnement « normal » de la société après une libération.
Si plus d’un détenu sur deux sort de prison pour commettre de nouveau un crime dans les cinq ans suivant sa sortie, la prison serait-elle contre-productive ?
L’incarcération prive le détenu de plusieurs de ses libertés, mais dans un cadre légal qui doit – en théorie – permettre de préserver les droits humains du détenu. Cette privation de liberté peut se justifier si elle permet effectivement de protéger la société.
Pallier les échecs de la prison
Le moment de la condamnation doit être le point culminant de l’acte de punir. Une fois cette condamnation passée, il faut déjà penser à la (ré)insertion.
Pour assurer cette (ré)insertion, inscrite dans la loi française, il convient d’abord d’éviter que la séparation du détenu du reste de la société – ou « désocialisation » – soit définitive : prévenir l’isolement physique, professionnel et psychologique.
Si de vraies alternatives existent à la détention provisoire, elle est pourtant en constante augmentation en France4 (environ 30% des détenus en 2017), alors même qu’il s’agit d’une mesure grave : elle implique qu’une personne encore présumée innocente soit placée dans une maison d’arrêt et privée de liberté.
De même, toute personne condamnée pour un délit passible de moins de dix ans d’emprisonnement peut en principe être sanctionnée d’une peine alternative à l’emprisonnement.
Les personnes condamnées à moins de deux ans de prison et les personnes en fin de peine, peuvent voir leur peine de prison aménagée. Ces aménagements doivent en principe permettre d’éviter les courtes peines d’incarcération qui isolent du monde extérieur tandis que le retour à la « vie normale » doit se faire dans un avenir proche.
L’OIP détaille ces alternatives et leur fonctionnement dans un article très clair accessible ici.
Réduire au maximum la détention provisoire et éviter l’emprisonnement ferme pour les courtes peines semble être une condition à la réduction de la récidive (et à la surpopulation carcérale…).
Toutefois, l’objectif final – protéger la société des illégalismes – ne saurait être atteint qu’à grands coups d’investissement de moyens humains et matériels, non pas uniquement dans la surveillance et la construction de prisons comme c’est le cas aujourd’hui, mais surtout, dans le suivi et l’accompagnement personnalisés des prévenus et des détenus (le méconnu Service pénitentiaire d’insertion et de probation par exemple).
Il est impossible de dissocier la réflexion sur la prison et le rôle des accompagnants en insertion, de celle sur le sens et l’efficacité de la peine.
La peine ne saurait être qu’une punition, au risque de nous faire revenir deux siècles en arrière.
Cellule du quartier d’isolement de la prison Jacques-Cartier de Rennes (France), à travers le judas.
© Illustration Giada Ganassin © Photographies libres de droits.
Maëlys Amelin et Giada Ganassin
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