Maëlys Amelin et Irène Iron → 13 décembre 2017
QUI SONT LES FÉMINISTES ?
Les féministes sont des femmes (et parfois des hommes) qui luttent pour la réduction des inégalités entre hommes et femmes, dans un contexte d’oppression masculine, autrement dit patriarcale.
Les féministes sont celles et ceux qui cherchent à mettre fin à toutes les formes de sexisme de notre société.
Les féministes sont celles et ceux qui refusent l’infériorité que leur société impose aux femmes, de façon plus ou moins évidente, dans l’éducation, le travail, la politique, la sphère familiale, la sexualité, ou encore dans le langage.
Être féministe, c’est refuser un état de fait dans lequel la liberté des femmes n’est pas pleinement garantie. Être féministe, c’est questionner en permanence son environnement : « est-ce qu’en tant que femme je suis entièrement libre de faire ceci, ou cela ? Si non, pourquoi ? Que puis-je faire pour changer les choses ? ».
Être féministe, c’est chercher à créer un changement profond et durable au sein d’une société.
L’oppression (c’est-à-dire le pouvoir excessif d’un individu sur un autre, et dans ce cas, de l’homme sur la femme), n’est possible que si les victimes de cette oppression y consentent.
Dans ce sens, être féministe c’est refuser de subir, c’est se rebeller.
On ne naît pas féministe, on le devient.
UN FÉMINISME ? PLUTÔT DES FÉMINISMES !
Il est impossible de parler d’un féminisme uniforme et universel, non pas parce qu’il n’existe pas de femmes opprimées à l’échelle universelle (au contraire !), mais parce qu’il existe presque autant de combats féministes que de femmes, d’une époque à l’autre, d’un pays ou d’une culture à l’autre. Loin d’être une faiblesse, cette diversité a permis de créer une lutte féministe englobante (non excluante), dans laquelle chacun.e doit pouvoir y trouver son compte et s’identifier. Voilà pourquoi il est préférable de parler de féminismes.
Il serait erroné de peindre un tableau figé du passé et du présent du féminisme. Entre associations, mouvements, luttes, alliances et divergences, il faut éviter toute représentation trop simpliste… Pour tenter de retracer le parcours des luttes féministes, il est toutefois courant de faire référence à trois vagues du féminisme, même si cette vision reste à nuancer.
La première vague s’étend de 1850 à 1945 en Europe, en Russie et aux États-Unis.
Les féministes de la première vague cherchent avant tout à obtenir l’accès à l’éducation pour toutes les filles et les jeunes femmes, l’amélioration de la situation des femmes mariées, l’égalité dans le monde du travail et l’accès à la vie politique grâce au droit de vote.
Il s’agit là d’un féminisme des droits ou féminisme réformiste (appelé aussi féminisme libéral) qui, s’il ne cherche pas encore à bouleverser la société en profondeur, pousse les femmes à une mobilisation collective par la création de partis, d’associations, la publication d’articles, les prises de parole publiques ou la distribution de tracts.
Après avoir connu un léger essoufflement avec la seconde guerre mondiale, le féminisme poursuit son épopée avec ce que l’on nommera a posteriori une deuxième vague, associée généralement à un
« féminisme radical », majoritairement non mixte, basé sur des groupes de parole et la solidarité entre femmes (la sororité).
Cette période marque l’aboutissement d’une véritable prise de conscience : il existe une féminité construite et imposée par une certaine organisation sociale : l’Histoire, la religion, l’État, la culture… un système entier cantonne la femme à un statut inférieur de « sous-citoyenne », au même titre qu’un enfant mineur.
Les femmes ont été socialement définies comme « autre » : l’idéal de la féminité (qu’il s’agisse de la femme sensuelle, la femme mère ou l’épouse dévouée) a été construit de toute pièce par une société dirigée par un seul des deux sexes : l’homme. C’est le célèbre : « On ne naît pas femme, on le devient » (Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949).
La ségrégation sociale basée sur le sexe est vue par le féminisme radical, non pas comme un fait « naturel », mais comme un fait politique (c’est le slogan : « le privé est politique »). Le féminisme matérialiste, d’orientation marxiste, ajoute que la domination des femmes par les hommes s’opère notamment par le travail domestique, qui n’est autre qu’une forme d’exploitation économique.
Le corps féminin et la sexualité sont aussi les grandes nouveautés du féminisme de la deuxième vague : c’est la lutte pour le droit à une éducation sexuelle, à la contraception et à l’avortement1. La sexualité n’implique plus automatiquement la maternité : c’est la libération sexuelle !
Et puis viendrait une troisième vague, née aux États–Unis dans les années 1990.
Elle se construit en partie pour combler les lacunes de la seconde vague, il est donc plus difficile de les distinguer entre elles (on peut même dire que la seconde a nourri la troisième).
Points de départ de cette troisième vague : 1. le féminisme n’est pas allé assez loin dans la déconstruction des genres2 féminin et masculin et 2. il n’est pas assez englobant, c’est-à-dire qu’il a mis de côté les inégalités d’origine ethnique et les inégalités de classe (basées sur les revenus et catégories socioprofessionnelles).
Il ne suffit plus de dire que les genres sont construits, il faut montrer à quel point la femme « joue » son genre et, à terme, déconstruire l’opposition trop simpliste masculin/féminin.
Le féminisme de la troisième vague est très influencé par les mouvements lesbiens, gay et queer3 : il est possible de s’identifier de façon plurielle, on ne choisit plus entre le masculin OU le féminin, on peut remplacer le OU par un ET, et s’identifier à plusieurs sexualités qui ne s’excluent pas mutuellement.
Sam Bourcier le résume très bien dans son essai graphique :
– « La suppression du 1 et du 2 sur la carte vitale4 ? Oui mais pour quoi faire ?
– Pour revenir à 0, disent les féministes de l’égalité.
– Pour aller à « 10 » et plus si nécessaire car « 1 » et « 2 » c’est largement insuffisant, disent les féministes queer. »
La troisième vague veut aussi prendre en compte toutes les catégories de femmes marginalisées et croit que toutes les formes d’injustice sont interconnectées et qu’elles doivent être traitées simultanément.
Ainsi, il s’agit d’aller au-delà des oppositions des seules inégalités de genre et de prendre en compte toutes les minorités, notamment ethnoculturelles. En effet, certaines cumulent les discriminations parce qu’elles sont femmes mais aussi parce qu’elles sont noires, latinos, maghrébines, originaires de pays récemment décolonisés, musulmanes…
Le « Black feminism » (afroféminisme) s’est développé, dès les années 1970, car les femmes noires américaines n’étaient pas pleinement incluses dans la lutte féministe dite « classique », de majorité blanche. L’intersectionnalité par exemple (« intersectionality ») est un terme américain qui renvoie, depuis 1989, aux différentes formes d’oppression qui s’entrecroisent, se chevauchent, et dont les femmes noires sont quotidiennement victimes : racisme et sexisme, homophobie et xénophobie… (voir aussi : « womanism »).
Afin de n’oublier personne, il est également nécessaire d’intégrer à la lutte féministe les différences sociales (femmes pauvres, mères célibataires isolées…) et même physiques (femmes en situation de handicap ou de surpoids).
Depuis les années 1990, des mouvements de lutte variés se sont progressivement fortifiés pour remettre en cause les aspects d’une société dans laquelle la femme, dans toute sa diversité et sa complexité, n’avait toujours pas la place qui lui revenait de droit.
LE FÉMINISME D’AUJOURD’HUI : ENTRE VIGILANCE ET RÉVOLUTION
« Nous devons libérer la moitié de la race humaine, les femmes, afin qu’elles puissent nous aider à libérer l’autre moitié. »
Emmeline Pankhurst, suffragette (1858-1928)
L’aventure du féminisme est avant tout celle d’une prise de conscience, puis d’une transformation radicale, collective et personnelle, qui est toujours en cours et qui est loin d’être aisée.
Dans les faits c’est évident, les droits humains, malgré leur portée générale, n’englobent pas (encore) les femmes.
Le féminisme, ce n’est donc pas que la revendication de l’égalité, c’est aussi permettre à la femme d’accroître sa puissance d’agir (ou empowerment en anglais).
La tâche est double.
Être féministe, c’est se fixer une fonction de vigilance, afin de s’assurer que les quelques acquis d’égalité ne soient pas remis en question.
Pas plus tard que le 8 novembre dernier, une commission parlementaire réunie au Brésil s’est prononcée pour une interdiction totale de l’avortement, jusque-là uniquement autorisé pour les cas de viols et condamné de trois ans de prison pour toute autre cas de figure.
Il s’agit également de défendre la dignité de chaque femme, en tant qu’être humain, tout au long de sa vie. Pour cette deuxième vaste mission il faut tout questionner et se saisir de tous les combats : violences faites aux femmes, sexisme, représentation dans les médias et la culture, éducation, égalité au travail, représentation en politique, santé, expression du genre, sexualité… la liste est longue.
Le féminisme au sens large (qui regroupe toutes les vagues et mouvements cités précédemment) peut être vu comme une série de batailles qui « continuent, s’entremêlent et se prolongent l’une
l’autre »5.
© Illustrations Irène Buigues dit Iron
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