LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Réforme du travail et négociation:qui gagnera ?

En France, nous sommes historiquement attachés à nos droits à la représentation syndicale et à la négociation collective (la journée de huit heures de 1919 et les congés payés de 1936 ne sont pas apparus d’eux-mêmes un beau matin !).
Il existe donc différents mécanismes de représentation et de négociation en droit du travail : qu’est ce qui va changer avec la réforme du travail du 22 septembre ?

et → 15 novembre 2017

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 – composant notre bloc de constitutionnalité et que toutes les lois doivent respecter – proclame l’importance de la représentation syndicale et de la négociation collective.

Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
Art. 6 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ;
Art. 8 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Pouvoir défendre ses intérêts de travailleur et être représenté sont des droits qui doivent être garantis pour tous les citoyens : ils font partie des droits humains.
Quelles conséquences aura la réforme du code du travail sur la représentation des employés et la négociation collective ?

 

1. Fusion des instances représentatives 

Les ordonnances vont fusionner les instances représentatives du personnel1 en créant une instance unique de représentants du personnel baptisée le comité social et économique (CSE).
Ce CSE remplacera le comité d’entreprise, le comité 
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel2, alors que jusque-là, chacun de ces organes avait ses propres missions.

Cette mesure inquiète car cette fusion, qui concerne les entreprises de plus de 50 salariés, implique une réduction du nombre d’élus et moins d’heures destinées à la représentation et à la défense des intérêts de l’employé.
Une commission « santé, sécurité et conditions de travail » spécifique reprendra l’ancienne mission du CHSCT et subsistera dans les entreprises de plus de 300 salariés uniquement (celles-ci embauchent environ la moitié des salariés du privé en France, c’est énorme !).
Une exception est prévue : cette commission sera également mise en place dans les établissements à risque (où les employés travaillent avec des matières dangereuses ou nucléaires) de moins de 300 salariés.
Cette fusion des instances représentatives signifie également que chaque représentant des employés devra avoir « plusieurs casquettes » : maîtriser les questions des droits du salarié (exemple : litige en lien avec un congé maternité) mais aussi celles relatives à ses conditions de travail (exemple : problèmes de sécurité sur l’espace de travail). Affaire à suivre !

2. Nouvelles négociations dans l’entreprise 

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a rappelé qu’il existe seulement
« 4 % de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 salariés »3
. L’idée du ministère du travail est donc de proposer d’autres moyens de négociation, mais à quel prix ?
La réforme du code du travail a instauré une nouvelle forme de négociation au sein de l’entreprise, notamment au sein des TPE (Très Petites Entreprises, qui emploient moins de 10 salariés) et les PME (Petites et Moyennes Entreprises, de 10 à 249 salariés).

Dans les TPE de moins de 20 salariés, si l’employeur ne dispose pas de représentant des salariés et veut renégocier les conditions de travail de ses employés, il peut soumettre ces questions à un référendum.
Si les deux tiers des employés l’approuvent, un nouvel accord est trouvé. Les thèmes concernés par ces référendums sont variés : durée et organisation du travail, jours de congés ou encore épargne salariale.
Auparavant, si la très petite entreprise (TPE) n’avait pas de représentant des salariés, l’employeur se contentait de respecter l’accord de branche.
Il est difficile d’anticiper la façon dont se déroulera une négociation d’accord au sein de ces TPE mais elles seront nécessairement dépendantes des relations entre employeur et employés dans ces petites structures. D’un point de vue purement représentatif, le choix d’une majorité aux deux tiers incarne une forme de garantie.

Dans les petites entreprises de 20 à 49 salariés où il n’y a pas de délégués syndicaux, un élu du personnel non mandaté4 peut négocier avec l’employeur.
Concrètement, même s’il n’existe pas de représentant élu par les employés ou mandaté (désigné par une organisation syndicale) au sein de l’entreprise, la négociation des conditions de travail peut quand même se faire entre employeur et employés, dans un cadre délimité. Difficile aujourd’hui d’anticiper les conséquences de la création d’un nouvel espace de négociations.
Les employés se sentiront-ils directement concernés et défendront-ils collectivement leurs intérêts ? Quelles conséquences les relations de tous les jours entre employeur et employés auront-elles sur cette négociation ?

Un impact négatif sur le droit à la représentation de l’employé doit être envisagé. L’élu du personnel non mandaté, ou l’employé d’une TPE qui vote à un référendum, maîtrisent-t-ils les subtilités du droit du travail ou l’évolution (complexe) de la législation ? Le représentant du personnel a, de facto, plus facilement accès à cette information et peut bénéficier de formations dispensées par des organisations syndicales.
Ces employés, propulsés acteurs de la négociation, pourraient ne pas être aussi à l’aise que leur employeur. Rappelons d’ailleurs que cette négociation s’inscrit dans un rapport de subordination.

 

Si les modalités de représentation et de négociation changent, à la fois pour les petites, moyennes et grandes entreprises, il faut en mesurer pleinement les conséquences.
Il est donc essentiel que le ministère du travail s’applique à évaluer l’impact de cette réforme. Concrètement, il s’agira, entre autres, d’être attentif aux affaires portées devant les conseils des prud’hommes (tant sur le motif que sur leur nombre), d’analyser les motifs des licenciements collectifs ainsi que leur fréquence, de prendre le temps d’évaluer les conséquences de la réforme sur la représentation syndicale dans les grandes entreprises et de réaliser des études de terrain approfondies sur l’impact des nouveaux modes de négociations dans les petites entreprises.
En France, le droit du travail relève de la compétence spéciale de certaines institutions, tels le Conseil des prud’hommes, l’inspection du travail et la médecine du travail, et de la compétence générale d’autres institutions, essentiellement juridictionnelles. Ces acteurs seront-ils davantage sollicités ? Dans quelle mesure feront-ils remonter leurs constats ?
A ce jour, le gouvernement n’a pas précisé s’il envisage d’étudier l’impact humain des ordonnances du 22 septembre 2017 et, le cas échéant, de quelle façon.

© Illustration William Jay

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