LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Harcèlement de rue

« Hé la miss, t’as un bon boule, t’as pas un 06 ? », « Réponds-moi salope » : que dit le droit français face aux propos et actes que les femmes subissent dans la rue ?


et → 8 novembre 2017

Sous l’impulsion de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, le gouvernement travaille actuellement sur un projet de loi qui prévoit d’introduire une nouvelle infraction pénale spécifique au harcèlement de rue : l’outrage sexiste.

On a dès lors l’impression que le droit actuel ne prévoit rien contre ces propos et actes dégradants. Pourtant, le droit n’est pas si déficient face à ce problème.

En pratique, ces faits de harcèlement de rue peuvent constituer trois infractions : l’injure à caractère sexiste, le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle.

L’injure sexiste1 :

L’injure se définit comme une « expression outrageante, termes de mépris ou invective (…) »2. L’injure est une atteinte élémentaire à la dignité de la personne.  

Lorsque l’injure est proférée envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, il s’agit d’une injure à caractère sexiste. Donc mesdames, quand vous êtes insultées de « sale pute » ou de « salope » dans la rue, sachez qu’il s’agit d’une infraction pénale pour laquelle les auteurs encourent jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Le délai de prescription pour cette infraction est très court : 1 an. Cela signifie concrètement que la victime d’une injure sexiste dans la rue, a 1 an pour porter plainte, étant précisé que le magistrat doit traiter, c’est-à-dire, classer sans suite ou non la plainte dans l’année également. Il faudra donc porter plainte rapidement car l’examen d’une plainte prend souvent plusieurs mois.

Harcèlement sexuel3 :

Lorsque l’on est victime dans la rue, non seulement de propos mais aussi d’actes sexistes, ces faits peuvent être constitutifs de harcèlement sexuel, infraction définie et réprimée par le code pénal.

C’est également cette infraction qui permet de sanctionner pénalement le harcèlement sexuel au travail4.

L’infraction de harcèlement sexuel se caractérise par le fait :

Le délai de prescription est ici plus important, puisqu’il est de 6 ans ; et la peine encourue pour les auteurs de harcèlement sexuel également : jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Agression sexuelle (hors viol)5 :

S’il y a contact physique de l’agresseur sur la victime de harcèlement de rue, il peut s’agir d’une agression sexuelle.

L’agression sexuelle est définie comme toute atteinte sexuelle sans pénétration et commise sur une victime avec violence, contrainte ou menace. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait des violences physiques pour qualifier un acte d’agression sexuelle.

L’agression peut se dérouler même par surprise. Par exemple : une main aux fesses dans les transports publics à un moment de forte affluence.
Dans tous les cas, l’auteur n’a pas obtenu le consentement clair et explicite de la victime.

La peine encourue est alors encore plus importante : jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Le délai de prescription est également de 6 ans

Néanmoins, même si les victimes ont davantage de temps pour porter plainte, contrairement à l’injure sexiste, quelles sont les chances pour elles de voir leur plainte aboutir ? Concrètement, quand une femme est victime de harcèlement de rue, elle a le droit de porter plainte. Elle peut se rendre en commissariat de police ou dans une gendarmerie. Les policiers ou gendarmes ont d’ailleurs l’obligation de prendre sa plainte si les faits rapportés sont constitutifs d’une infraction pénale : injure sexiste, harcèlement sexuel ou agression sexuelle. Cependant, lorsqu’une victime porte plainte, elle doit se constituer un dossier solide afin d’éviter un classement sans suite : enregistrements audio, vidéos, témoignages… Il faut avoir conscience que la principale cause de classement sans suite d’une plainte est le manque de preuve. Dans les faits, il est très compliqué pour une personne victime de harcèlement sexuel dans la rue d’apporter ce type de preuve, justement car il s’agit d’un contexte de rue dans lequel la victime ou les personnes autour ne sont pas toujours réactives. Le harcèlement sexuel c’est aussi de l’intimidation ; on peut donc se demander par exemple, comment des victimes pourraient oser prendre leur téléphone portable pour enregistrer leur harceleur ? Sans compter que l’agresseur pourrait supposer que la victime accepte finalement de lui donner son numéro de téléphone. Enfin, il n’est pas évident ni facile de demander aux passants dans la rue de témoigner : personnes pressées, peur des représailles, indifférence, etc.

La seconde difficulté repose sur l’identité de l’auteur. Dans le cadre du harcèlement de rue, la victime ne connaît presque jamais son harceleur. Or, en cas de plainte, les enquêteurs auraient beaucoup de mal à retrouver l’auteur du harcèlement et la plainte serait donc inévitablement classée sans suite.

On comprend que si en apparence il existe un arsenal juridique, en principe applicable contre le harcèlement de rue, sa mise en pratique semble finalement assez inefficace face à ce fléau. Bien que le projet d’introduction de l’infraction d’outrage sexiste dans le code pénal puisse apparaître comme une solution, reste encore à savoir comment cette loi sera rédigée pour s’adapter au contexte particulier vécu par les victimes de harcèlement de rue. Enfin, on peut se poser une question légitime : dans quelle mesure le droit et l’aspect dissuasif de la sanction encourue sont en capacité à résoudre un tel phénomène ? Le travail de sensibilisation et d’éducation semble tout aussi nécessaire. Si certaines initiatives existent déjà dans le milieu scolaire ou associatif, l’apport de l’art dans cette lutte n’est pas négligeable non plus. Encore récemment, un court-métrage percutant sur le harcèlement de rue, « Au bout de la rue » a été salué par la presse. On peut aussi citer le compte Instagram DearCatcallers de Noa Jansma, jeune danoise qui poste des selfies avec ses différents harceleurs de rue. Retrouvez l’article de Joséphine Faisant sur ce propos ici.

© Illustration de Giada Ganassin

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