Othman Boucetta → 11 octobre 2017
Des mesures prises pour répondre à un sentiment d’insécurité
Au moment où les actions terroristes sont de plus en plus fréquentes dans de nombreux pays du globe, on se dit que des mesures de surveillance des citoyens – particulièrement ceux qui pourraient faire partie de réseaux violents – permettront de diminuer les attaques et de nous faire vivre plus en sécurité. C’est la raison pour laquelle, dans de nombreux pays, de plus en plus de pouvoir est donné à l’État pour surveiller ses citoyens. Prenons l’exemple de la France : ces dernières années, en parallèle de la série d’attentats qui ont eu lieu, de nombreuses lois ont été adoptées en ce sens, dont chacune ancre un petit peu plus les pouvoirs de surveillance des citoyens par l’État. Parmi celles-ci, on compte notamment des lois sur :
- le renforcement des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (2014)1 ;
- le renseignement (2015)2 ;
- les mesures de surveillance des communications électroniques internationales (2015)3 ;
- le renforcement de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement (2016)4.
A tout ceci s’ajoute l’état d’urgence qui est en vigueur depuis novembre 2015 et le projet de loi antiterroriste actuellement en discussion à l’Assemblée nationale (à lire également sur l’aaatelier : « La future loi antiterroriste menace-t-elle l’État de droit ? »).
Toutes ces lois, ainsi que les dispositions de l’état d’urgence, contiennent des mesures visant à renforcer la capacité de l’État à s’introduire dans la vie et les communications privées des citoyens. C’est-à-dire qu’il peut avoir accès à nos communications téléphoniques, à certaines de nos communications en ligne (courriels, messages Facebook, etc.) ainsi qu’à nos données de connexion (localisation, sites consultés, téléchargements, etc.).
Tout ceci peut sembler raisonnable quand c’est justifié par la lutte contre les attentats terroristes et les projets criminels. C’est d’ailleurs ce qu’affirment les gouvernements et les députés qui votent ces lois : ces mesures ne viseront en principe que les personnes suspectées de terrorisme. Cependant, ces lois elles-mêmes contiennent des dispositions qui montrent que leur application n’est pas si restrictive. Pour donner un exemple, les mesures en place actuellement permettent d’abord d’intercepter les communications de « personnes identifiées comme une menace »5, ce qui est une description vague. Cependant, elles permettent également de surveiller des « personnes susceptibles d’être en lien avec une menace »6, définition encore plus vague, et encore plus largement sujette à interprétation. La décision de recueillir des renseignements sur une ou plusieurs personnes est prise par le Premier ministre, après un avis consultatif de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement7. L’autorisation est délivrée en réponse à une demande d’un ministre (défense, intérieur, justice, économie, budget ou douanes)8. Quant aux données de connexion, elles sont collectées massivement à travers des algorithmes9 permettant de détecter des comportements suspects en ligne.
Le pouvoir exécutif peut donc désormais collecter des données sur toutes les personnes présentes sur son territoire, et il détermine quelles sont celles qui constituent une menace, selon des critères que lui seul édicte. Bien qu’il n’ait pas les moyens d’observer chaque individu à chaque instant, il peut désormais surveiller celui ou celle qu’il souhaite, plus ou moins arbitrairement, dès qu’il l’estime nécessaire pour ses propres intérêts. En pratique, une surveillance de masse a été instaurée10. Plus grave encore, la loi sur le renseignement adoptée en 2015 permet à l’État de surveiller des citoyens sans le contrôle préalable d’un juge. Celui-ci devrait déterminer la légitimité et la proportionnalité d’une telle surveillance. Ce contrôle du pouvoir judiciaire (juge) qui est un pouvoir indépendant des pouvoirs exécutif (gouvernement) et législatif (parlement), permettrait de s’assurer que l’État ne fasse pas un usage abusif de ces surveillances. Le contrôle exercé par un pouvoir judiciaire indépendant étant écarté, le principe de la séparation des pouvoirs est donc remis en question11 (à lire également sur l’aaatelier : « L’État de droit, c’est quoi ? »).
C’est ce type de dérive sécuritaire que le lanceur d’alerte Edward Snowden dénonçait aux États-Unis en 2013. Mais la surveillance de masse est désormais pratiquée par de nombreux États de par le monde sous prétexte de lutter contre le terrorisme12.
Une atteinte au droit à la vie privée
La surveillance généralisée des citoyens est avant tout une violation du droit à la vie privée. Les défenseurs de la surveillance de masse ne nient pas ceci, mais martèlent une affirmation commune selon laquelle « quand on n’a rien fait de mal, on n’a rien à cacher ». Cela équivaudrait à dire que seuls les criminels et les terroristes souhaitent protéger leur vie privée. Mais posons-nous la question suivante : que dirions-nous si demain, toutes nos communications (appels, courriels, sms, messages facebook, etc.), nos documents et nos images étaient accessibles à tout le monde ? Cela ne nous dérangerait-il pas s’ils étaient vus non seulement par des milliers d’inconnus, mais également par nos proches, nos collègues, nos connaissances, et une multitude de gens qui pourraient utiliser ces informations contre nous, bien que nous n’ayons rien fait de mal ? Aujourd’hui, ces informations sont pour la plupart accessibles aux services de sécurité qui peuvent les transmettre aux autorités, si celles-ci décident que vous constituez une menace. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’une instrumentalisation de ce pouvoir par l’État13.
Imaginons que le gouvernement passe dans le futur entre les mains de personnes qui ne cherchent pas à lutter contre le terrorisme, mais à éliminer la dissidence et les opposants. Un tel gouvernement aurait donc déjà en main les moyens d’accéder à toutes les informations qu’il désire sur les opposants politiques, les journalistes, les juges et autres contre-pouvoirs, et il pourrait en faire usage à des fins politiques et répressives. Ce danger est déjà visible dans plusieurs pays du monde, dans lesquels les autorités prétextent lutter contre le terrorisme pour justifier les mesures les plus dictatoriales et liberticides.
C’est pour ces raisons que le droit à la vie privée est un droit de l’Homme garanti par de nombreux textes, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte de droits fondamentaux de l’Union européenne14.
Un danger pour la liberté d’information et la liberté d’expression
La surveillance de masse pourrait également affecter à l’avenir nos libertés d’information et d’expression, à cause d’un phénomène d’autocensure15. En effet, si nous nous savons surveillés, nous n’agirons pas de la même manière. Sachant que nous pouvons être surveillés à tout moment, nous n’exprimerons plus nos opinions aussi librement (surtout si elles sont directement opposées à celles du pouvoir en place). Nous y réfléchirons à deux fois avant de rechercher sur internet des informations qui pourraient être politiquement sensibles. Nous ne voudrons plus témoigner auprès de journalistes si nous nous doutons qu’ils ne peuvent pas garantir le secret de leur source. Nous nous méfierons même de plus en plus de nos amis et connaissances, si nous pensons que nous pouvons être soupçonnés simplement parce que les gens de notre entourage sont des dissidents qui sont peut-être surveillés. Ainsi, plus besoin de poursuites, d’emprisonnements et de torture, pour créer à l’avenir les conditions d’un État autoritaire. Le seul fait de savoir que nous pouvons être surveillés pourrait nous faire rentrer dans les rangs et nous empêcher nous-mêmes d’adopter un comportement qui dérangerait ceux qui nous surveillent.
La surveillance de plus en plus intrusive qui se met en place en France, à l’instar de nombreux autres pays du monde, constitue donc un véritable danger pour les libertés. C’est pourquoi elle est dénoncée par de nombreux défenseurs des droits humains. Ceci ne veut pas dire que la sécurité n’est pas une priorité ou qu’il faudrait limiter la lutte contre le terrorisme. Mais ces exigences peuvent légitimement exister sans que les libertés et droits fondamentaux ne soient affectés, et nous devons exiger de nos représentants qu’ils trouvent cet équilibre, pour ainsi préserver la démocratie et l’État de droit.
© Illustration de EFF-Graphics
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