Laure Boyer et Irène Iron → 19 mai 2021
En 1920, Duncan Campbell Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes au Canada, a déclaré :
« Je veux me débarrasser du problème indien. Je ne pense pas, en fait, que le pays doive protéger en permanence une classe de personnes qui ne peuvent pas rester seules. […] Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait pas un seul Indien au Canada qui n’ait été absorbé par le corps politique et qu’il n’y ait pas de question indienne, ni de département indien […]. »
Au Canada, la loi reconnaît trois peuples autochtones : les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Les membres des Premières Nations sont les premiers occupants des territoires canadiens. Ils sont les premiers Autochtones à être entrés en contact régulier avec les Européens et plusieurs échanges commerciaux découleront de cette rencontre. Il existe 634 Premières Nations au Canada, qui utilisent plus de 50 langues distinctes.
La loi dite « sur les Indiens » est la principale loi canadienne traitant des Premières Nations enregistrées aux registres des indiens, leurs bandes1 de réserves.
Cette loi voit le jour en 1876 (tout d’abord sous le nom d’Acte des sauvages puis de loi sur les Indiens en 1880) lorsque les guerres se terminent, la traite des fourrures bat de l’aile et le commerce avec les Premières Nations devient de moins en moins intéressant. Elle va à l’encontre de tous les traités passés jusqu’ici entre la Couronne britannique et les nations autochtones et est vécue comme une trahison par les Premières Nations.
Les Premières Nations sont considérées comme trop puissantes par le gouvernement et perçues comme un barrage à l’épanouissement de la nouvelle nation canadienne. Il faut rajouter à cela que leurs terres sont convoitées par les colons.
Dès 1876, on contraint alors les Premières Nations à s’installer dans des réserves2(obligation d’être affilié à une réserve pour obtenir son statut), leur allouant ainsi terres et rentes en échange de territoires traditionnels.
La loi définit les Premières Nations comme des usufruitiers (qui ont l’usufruit de leurs terres) et non pas comme propriétaires de leurs terrains. Les réserves sont des zones franches et ne sont pas soumises aux taxes provinciales (les peuples autochtones étant reconnus comme des communautés du Nord Amérique et non provinciale).
Des élections de chefs et de conseils de bande sont prévues alors que celles-ci vont à l’encontre des traditions de représentations politiques des communautés, on leur impose ainsi une représentation euro-canadienne. Un accès à l’éducation et à la médecine leur est promis mais ces promesses ne seront pas tenues.
L’objectif de cette loi était de pousser les Premières Nations à l’assimilation. Cette dernière est paternaliste, elle considère les Premières Nations comme des personnes mineures sous la responsabilité de la Couronne. Par exemple, ils ne peuvent pas voter et ne peuvent pas être propriétaires de leur terres. La seule façon d’accéder à ces droits est de perdre son statut d’Indien. A travers cette loi, le gouvernement souhaite que les Premières Nations abandonnent leur culture traditionnelle afin d’intégrer la société canadienne coloniale.
En résumé, la loi sur les Indiens a été instaurée sur la base d’une idée : la Couronne britannique devait s’occuper des Premières Nations et veiller à leurs intérêts en agissant comme « tuteur » tant que ces dernières ne s’intégreront pas pleinement à la société canadienne.
La loi interdit notamment aux Premières Nations de pratiquer leurs rites et traditions et plus particulièrement le système du Potlatch, qui signifie « donner » en Kwak´wala, est interdit dès 18843. On y célèbre les mariages, les naissances et les funérailles, mais pas que…
On peut y redistribuer des richesses, revendiquer des noms et des droits sur des territoires de chasse et de pêche, rétablir l’honneur de quelqu’un aux yeux de la communauté à la suite d’une humiliation, ou encore choisir le nom d’un nourrisson. Les membres des Premières Nations risquent 2 à 6 mois de prison pour sa pratique jugée anti-chrétienne. Cette interdiction ne sera abrogée qu’en 1951.
Les enfants devront, dès le plus jeune âge, intégrer un pensionnat et ainsi être séparés de leurs familles et traditions ancestrales. De plus, en 1927, une modification de la loi interdit aux membres et aux communautés des Premières Nations de louer les services d’un avocat ou de présenter des revendications territoriales contre le gouvernement, sans l’autorisation préalable du gouvernement.
Dès la fin de Seconde Guerre mondiale, la loi sur les Indiens est montrée du doigt et est reconnue comme oppressive et discriminante. En 1946, un comité parlementaire mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes voit le jour afin d’analyser et de modifier la gestion des affaires indiennes et des politiques canadiennes à ce sujet. Pendant trois ans, le comité a examiné des mémoires et des représentations des Premières Nations, de missionnaires, d’enseignants et de fonctionnaires fédéraux.
En 1951, les Premières Nations obtiennent le droit de vote fédéral et provincial. C’est une victoire due en grande partie aux anciens combattants issus des Premières Nations. Ils ont combattu pour le Canada lors de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale mais n’avaient pas le droit de vote. Ils ont longuement lutté pour obtenir ce droit.
En 1969, le gouvernement a présenté un document appelé « livre blanc » qui avait pour but de donner les mêmes droits à tous les canadiens sans distinction ethnique ou culturelle. Le gouvernement reconnaissait ainsi le caractère nuisible de la loi sur les Indiens envers les Premières Nations. Ce document demandait l’abrogation de la loi sur les Indiens. Le livre blanc proposait de décentraliser les affaires indiennes en faveur des gouvernements provinciaux et recommandait notamment de mettre un terme aux traités de manière équitable.
Mais ces mesures auraient retiré la responsabilité du gouvernement fédéral envers les Premières Nations et auraient éliminé leur statut spécial. Les propositions du « livre blanc » ont été rejeté en très grande partie par les Premières Nations. L’absence de consultation de membres des Premières Nations (directement touchées par ces décisions) a été très fortement dénoncée. Même si beaucoup de personnes estiment que la loi sur les Indiens est paternaliste et coercitive, elle protège toutefois le statut autochtone spécial au sein de la Confédération et, par conséquent, leurs droits particuliers comme les droits ancestraux et les droits issus de traités.
A la suite de ces événements, le gouvernement a compris que les membres des Premières Nations devaient être mis au centre des discussions politiques qui les concernent. Il a notamment retiré les agents des Indiens des réserves de tout le pays.
L’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 a aussi marqué une avancée pour les droits des Premières Nations. Elle prévoit que les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ne doivent pas porter atteinte aux droits ou libertés des peuples autochtones, notamment ceux reconnus par la Proclamation royale de 1763 ou ceux issus de traités. Son article 35 confirme et reconnaît les droits existants, ancestraux ou issus de traités, des peuples autochtones.
Pourtant, en 1990, une crise explose au Québec à la suite d’un projet de construction de terrain de golf sur des terres Mohawks où repose l’un de leurs cimetières.
C’est la crise d’Oka. Pendant 78 jours, des affrontements ont lieu entre la police du Québec, la GRC (Gendarmerie Royale du Canada), l’armée canadienne et des manifestants Mohawks. L’Etat fédéral décide de racheter les terres et de faire annuler le projet. Néanmoins, aucun transfert de terres vers les Mohawks n’a été fait à ce jour.
Après cette crise est créée la Commission royale sur les peuples autochtones. Celle-ci a pour mission la rédaction d’un rapport sur les questions autochtones dans lequel plusieurs recommandations seront données, comme celle de céder plus de terres aux autochtones, de leur laisser la possibilité de participer au développement politique et culturel en cours ou encore de mettre en place des campagnes d’éducation populaire visant à promouvoir une plus grande sensibilisation aux réalités culturelles autochtones chez les non-Autochtones.
A ce jour, toutes les recommandations n’ont pas été appliquées.
Il est certain que cette crise a remis sur la table les discussions des droits territoriaux des peuples autochtones et fait prendre conscience de ces enjeux aux canadiens. Il y a désormais une obligation de consultation des peuples autochtones pour tout projet d’immobilier et/ou d’aménagements.
En 2007, la Commission vérité et réconciliation est chargée d’enquêter sur les pensionnats autochtones. Dans son rapport rendu en 2015, elle écrit :
« Pendant plus d’un siècle, les buts centraux des politiques du Canada à l’égard des Autochtones étaient […], par un processus d’assimilation, de faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister comme entités juridiques, sociales, culturelles, religieuses et raciales distinctes au Canada. »
En 2015, Justin Trudeau, actuel premier ministre canadien, demande à la Commission de rendre un rapport sur les féminicides autochtones au Canada. Le 3 juin 2019, la Commission rend le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) regroupant 231 recommandations.
En 2021, au Canada, une victime de féminicides sur cinq est issue de peuples autochtones.
En 2016, le Québec crée la commission écoute, réconciliation et progrès qui a pour but d’enquêter et de lutter contre le racisme systémique envers les Autochtones.
Malgré beaucoup de controverses, la loi sur les Indiens existe toujours. Depuis 1990, de nombreux mouvements activistes ont vu le jour et ont fait avancer les droits des communautés (Iddle no more, MMIW, etc.). Leurs préoccupations sont : les droits territoriaux, le financement de la santé et l’éducation, l’environnement, la condition des femmes, le respect des traités.
Encore aujourd’hui, une réserve est régie par la loi sur les Indiens et est définie comme étant une « parcelle de terrains dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté pour l’usage et au profit d’une bande indienne, reconnue comme telle selon cette même loi ».
Les réserves sont à la fois un lieu de communion pour ses habitants aussi bien physique que spirituel mais aussi la représentation de l’autorité coloniale. Les Premières Nations sont ainsi clairement privées de droit de propriété.
Au Canada, près de la moitié des communautés d’Inuits et de Premières Nations vivent sous le seuil de pauvreté. De plus, on dénombre une surreprésentation autochtones carcérale, en effet, le centre canadien de la statistique juridique révèle que les peuples autochtones représentent environ 19 % des détenus fédéraux, alors qu’ils comptent seulement 5 % de la population nationale. Durant les 20 dernières années, 16 % de tous les homicides commis par la police impliquaient des victimes issues de populations autochtones.
Mais alors, une telle loi est-elle compatible avec la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ?
On peut en conclure que cette loi va à l’encontre des droits humains individuels mais aussi et surtout des droits collectifs puisqu’elle touche les droits inaliénables liés au groupe : l’accès à la terre et aux ressources naturelles.
A ce jour, le Canada n’a pas ratifié la Convention n°169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants de 1989. Cette dernière est le seul instrument juridique contraignant assurant une véritable protection aux peuples autochtones.
Cette ratification permettrait de contraindre l’État canadien à respecter les droits des peuples autochtones, à les reconnaître en tant que tels et à leur accorder des droits spécifiques adaptés à leurs cultures, langues, et modes de vie.
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