L'équipe de l'aaatelier → 2 juillet 2020
Attention.
Ce témoignage aborde les violences faites aux femmes et traite de violence conjugale dans ses dimensions physiques, psychologiques, et sexuelles.
Les violences faites aux femmes, particulièrement au sein du couple ont beau être documentées, hissées au rang de grande cause politique, ou faire l’objet d’innombrables statistiques ; elles ne révèlent jamais autant de réalités que lorsque les premières concernées prennent la parole.
Le témoignage d’Alix.N est le récit d’une vie de couple glissant insidieusement vers la violence. Il met en exergue avec une acuité décisive, le cycle de la violence conjugale théorisé par la psychologue américaine Léonore Walker, composé de 4 phases qui se répètent inlassablement, épuisant physiquement et psychologiquement la personne qui en est la cible.
Ce témoignage est aussi le récit d’une combattante. Celui d’une femme en lutte contre la tyrannie domestique, qui à renfort de stratégies, de lectures, de mains tendues agrippées, parvient à rompre le cycle de la violence et de l’emprise.
La rencontre…pipée
Notre rencontre se fait sur les chapeaux de roues. On se parle, on se plaît. Il veut me revoir, parfois insistant, mais c’est bien, je lui plais !
Ses appels téléphoniques ponctuent mon quotidien et son dynamisme, son engouement me flattent.
On s’installe dans une réciprocité amoureuse. Week-end à deux, dîner à l’improviste chez moi où il élabore le menu, cuisine, mets en scène. Table, bouquet de fleurs… Tout doit être parfait.
Je me laisse aller dans ma vie d’amoureuse avec quelquefois des interrogations vite enfouies sur son comportement trop enjoué, excessif ?
Il envisage très vite des projets de couple. Vivre ensemble, une maison, des enfants, sa demande en mariage.
Trop hâtive pour moi malgré mon attachement pour lui. Je veux un peu de temps, de la réflexion peut-être pour comprendre…
Les mois s’écoulent et je désire, à mon tour, passer plus de temps à ses côtés et m’engager avec lui pour le meilleur…et pour le pire.
Nous nous marions.
L’engagement bafoué
Très vite, nous avons notre premier enfant.
Sa profession m’oblige à abandonner la mienne. Nous déménageons souvent.
Notre famille s’agrandit et je donne naissance à nos deux autres enfants.
Mais une nouvelle relation se fait jour, insidieusement. Son caractère évolue et se dessine. Taciturne, absent, peu investi dans la vie de famille, des échanges disharmonieux apparaissent.
Tout va encore très vite. Il devient agressif. Je veux insuffler malgré tout de la tendresse, de l’Amour dans notre couple. Un mauvais passage certainement…
La guerre sourde
Sa guerre est amorcée…contre moi, son objet. Je ne le savais pas encore.
Je suis abasourdie.
Mais pourtant, je suis à ses yeux, si charmante, si souriante, la femme de sa vie…
Puis, ma robe ne sera pas assez courte, pas assez moulante, mon rouge à lèvres pas assez rouge. Je ne comprends pas. Pourquoi ces volte-face ? Je ne veux pas céder à ses diktats, qui deviendront de plus en plus nombreux.
Alors s’engage en moi une résistance pour ne pas me perdre, pour continuer mon chemin avec lui ou sans lui.
La première gifle
« Non, je ne veux pas, arrête… »
Je suis giflée après avoir refusé de me « perdre » dans ses bras.
Suffoquée, je me précipite vers la fenêtre, l’ouvre. Je veux respirer, je dois respirer, prendre de l’air et m’enfuir… Il referme la fenêtre du 1er étage. Pas d’excuses. Il ne me reparlera pas de ce qui vient de se produire… et moi non plus.
Je sais maintenant que l’homme avec lequel je partage ma vie est dangereux. Mais je reste.
J’ai peur, peur de lui. Comment partir avec mes enfants ?
Son vrai visage
Les mensonges s’installent.
Jalousie, infidélité, harcèlement, manipulation.
Il m’adressera – par erreur ? – plusieurs sms qui en fait, ne me sont pas destinés. Echanges avec d’autres femmes, rendez-vous et il se perdra en justifications peu reluisantes.
Ses scènes de jalousie non fondées éclateront en soirées entre amis. Ils seront agacés de son attitude mais s’en amuseront quelquefois.
En rentrant, je devrai alors me justifier une partie de la nuit, ne comprenant même pas ses accusations. Je m’endormirai abattue, épuisée par son harcèlement.
Des coups de fil à répétition quand je serai en compagnie d’amies proches lors de balades, shopping. J’éteindrai mon portable pour enfin avoir la paix. Et les représailles au retour…
Paradoxal dans ses paroles, ses actes, il regrettera de m’avoir fait souffrir, et m’offrira rapidement (de peur d’installer le doute en moi ?) fleurs, parfums, lingerie (son dada).
Se faire plaisir à lui avant tout !
Il me contraindra trop souvent à une sexualité non consentie. Mon esprit s’échappera alors…
Je suis prisonnière d’une nasse, comment m’en sortir ?
Plus d’accès au compte ; il gère. Code secret sur son ordinateur. Il verrouille tout. Et se permet de fouiller dans ma boîte mail.
Ma méfiance grandit et la peur aussi.
Omniprésence
La tension monte au sein de notre famille. Les enfants la ressentent.
Il y a des jours sans mais les jours avec, les sentences tombent.
Remarques déplaisantes, irritabilité.
Il dicte sans accepter la contradiction, l’échange simplement. Aucune écoute bienveillante.
Je suis épiée, contredite dans le quotidien. Sa présence me pèse.
Chaque matin, une question me taraude: « Aujourd’hui, quels reproches ? ».
Avec certains amis, en général ceux qu’il ne connaît pas depuis très longtemps, il est transformé. Bon père, bon mari. Son langage est double. Sa personnalité change.
J’essaie de souffler, de récupérer quand il s’absente pour les besoins de sa profession quelques jours, pour ensuite lui faire face.
Même absent, l’angoisse me tenaille.
Désormais, je refuse ses cadeaux empoisonnés, ses propositions de voyages, ses fausses attentions.
Un début de distance timide.
Je décide de m’engager dans un travail thérapeutique quand une de nos filles ne s’alimentera plus. Elle suivra une thérapie qui lui sera bénéfique. Nos 2 autres enfants devront consulter plus tard. Dommages collatéraux.
Ces années de souffrance m’ont fait glisser vers la dépression. A ce moment-là, je n’en suis pas consciente. Je vis à ses côtés et je dois me faire discrète, petite, transparente.
Mon travail thérapeutique avance. Victime ? Sous emprise, moi ? Il me faudra du temps pour comprendre.
Je m’oppose à lui avec plus de force, de véhémence et je continue de subir son dénigrement.
Je me rappelle encore son regard noir qui se pose sur moi quand j’échange avec notre entourage avec enthousiasme, légèreté, gaieté. Mimiques d’impatience, à lui de parler et à moi de me taire. Et surtout ne pas m’aviser de le « contrarier » en public. Il enrage.
Il sait quand je me sens bien, à l’aise et il y coupera court, toujours. Un instinct de prédateur. Je le connais maintenant ; une chance pour moi, il ne le sait pas.
Maintenant, je veux me sentir vivante, je veux vivre.
Je veux partir ; j’y réfléchis.
Rupture
Je me fais aider, je m’entoure.
Des amies me soutiennent et me réconfortent. L’une d’elles me propose de nous héberger au cas où… une de mes filles vit toujours avec moi.
Violences conjugales. Femmes sous emprise. Livres-témoignages, ouvrages sur le sujet sont mes livres de chevet. Après lecture, je les jette. Pas de trace. Il ne doit rien voir, rien savoir.
J’écris ; journal de bord qui m’aide à maintenir le cap ! Et que je cache, comme une adolescente, sous le matelas de mon lit.
Je relis ses phrases d’insultes, souvent à caractère sexuel, qui me blessent, me donnent la nausée. Je décris ses comportements inadaptés.
Je l’enregistre, fébrile, portable dans la poche, me menaçant.
Me persuader encore et encore, et prendre conscience pour fuir.
J’assiste à des conférences avec psychologues et psychiatres. J’écoute, anéantie. Les larmes coulent. La maltraitance détruit.
Rendez-vous mensuel avec des assistantes sociales, Maison des Femmes, qui me conseillent. Échanges riches. Elles me répètent souvent « Il ne changera pas ; il faut partir ». « Vous êtes victime ». Travail en complément de ma thérapie.
Puis, une autre gifle. Menaces. Il veut ma peau, il le dit.
Certificat médical. Constat de mon état psychologique…délabré.
Je fais établir des mains courantes auprès du commissariat mais je ne dépose pas plainte. La peur est toujours là.
Les conflits sont nombreux. Je me sens plus forte cependant. Je lui tiens tête.
Ce jour-là, sa rage explose. Il se jette sur moi, yeux exorbités, visage tendu, souffle court, si près de moi, trop près de moi. Il me secoue, met ses deux mains autour de mon cou, serre. Mon hurlement le stoppe ou bien ma fille qui accourt, en hurlant, du 1er étage… Geste suspendu peut-être grâce à elle.
Je l’ai vu dans ses yeux fous, il y va de ma vie.
Une prochaine fois, que peut-il m’arriver ? La perdre ?
Son regard me poursuivra longtemps.
Agir vite avant la prochaine agression.
Je contacte une avocate, et je demande le divorce.
Son départ
Je jalonne mon parcours.
Psychologue, assistantes sociales et enfin avocate.
On connaît mon histoire, sa violence.
Je ne suis pas seule.
La justice l’intimidera, je le sais. Au fond pas si courageux !
Il accepte le divorce, ne veut pas prendre d’avocat, veut gérer la situation comme d’habitude.
L’anticipation, l’action seront mes stratégies désormais.
Son objet se transforme secrètement. « C’est votre instinct de survie », me dira un jour une assistante sociale, confrontée chaque jour à la détresse des femmes malmenées.
Malheureusement, des victimes manqueront de temps malgré leur envie de vivre.
J’impose la mise en vente de la maison familiale. Ma décision le déstabilise. Je contacte des agences.
Grande et belle maison aux volets bleus, et au jardin si charmant, que j’aimais fleurir. Mon dada, chacun le sien !
Je m’y reposais, m’y ressourçais.
Le jardin, témoin malheureux à la nuit tombée, de notre détresse quand il nous poussait à bout et que nous sortions précipitamment de la maison ma fille et moi, « prendre l’air » !
Il refermait alors violemment portes et volets et nous restions prisonnières de notre jardin ! En pleurs, honteuse ! Mais de quoi ?? Désemparée, réconfortant ma fille, j’allais frapper le cœur en miettes pour qu’il nous ouvre la porte. Essayer de dormir pour continuer.
Chacun avait sa chambre désormais. Un petit pas de plus pour moi. Début d’appartenance de mon corps.
Maison aussi témoin de disputes, de cris, de pleurs. Une cage dorée.
J’attends avec impatience la visite de potentiels acheteurs.
Il s’absente de plus en plus souvent, vit sa vie. Il quittera la maison…pas vraiment.
Ma fille et moi y resterons jusqu’à sa vente. La justice a tranché.
Résistances
Deux années passent avant que la maison ne se vende.
Une proposition d’achat, très vite. La maison plaît. Il refuse, trop tôt pour vendre !
L’intéressé a un vrai coup de cœur pour la maison. Il propose une nouvelle offre au-delà du prix affiché. Une aubaine. On avance.
J’accepte mais il ne donnera pas son accord. L’agent immobilier est interloqué. Moi, je sais ; il continue son travail de sape.
Il s’acharnera à jouer le trublion, à semer la contradiction.
Il reviendra dans la maison à l’occasion de visites avec l’agence, pour récupérer des effets personnels.
Il cherchera à chaque fois le conflit. Notre fille vit avec moi. Peur d’aller trop loin devant elle ?
Triste constatation. Mon enfant me protège. Inversement des rôles.
Je me suis réfugiée souvent dans sa chambre, apeurée. Elle s’est mise entre lui et moi pour qu’il évite d’aller trop loin.
C’est à moi qu’il veut faire mal. Et ma fille n’a pas peur de lui, elle me le confie.
Que notre maison se vende vite.
L’aînée de nos enfants, ne vivant plus à la maison s’inquiète pour moi, a peur de l’irrémédiable. Elle a subi ses violences, elle aussi et sa vie d’adolescente, de jeune adulte se construit de bric et de broc comme pour mes deux autres enfants mais elles résistent. Notre force.
Et enfin des acquéreurs, au printemps. Le jardin refleurit !
Il accepte la vente mais sème encore la zizanie. Il essaiera de dominer la situation. En vain.
La maison se vendra.
Les beaux jours arrivent.
Debout
Je m’active au déménagement.
Trier, vider, ranger, mettre en carton. Je suis efficace.
Nous avons beaucoup déménagé.
2 mois pour préparer notre départ mais je serai prête.
Je dois nous reloger, retravailler. J’ai confiance.
Il continue ses tentatives d’approche.
Échanges pour la vente de la maison par sms. Il s’adresse à moi comme si nous vivions encore ensemble. Il pense à moi, il regrette notre décision. Il réfléchit, il a changé.
Un jour, il me suivra en voiture jusqu’à la maison. Il veut me parler. Visage froid, regard dur, il me fera descendre de force, me bousculera. Je lui échappe…
Je poursuis mon suivi thérapeutique.
Je chante. J’ai intégré un chœur depuis quelques mois. Une fois par semaine, je rejoins le groupe, qui ne connaît pas ma vie. Une énergie positive s’en dégage et j’en ressens les bienfaits.
Nous déménageons enfin. Je conserve petit mobilier, objets que j’affectionne. Petite maison où je m’installe comme dans un cocon. Nous réapprenons à vivre tranquillement.
La vie s’installe plus paisible.
Je bloque son numéro de portable. Il m’adresse des mails me souhaitant mon anniversaire… Je coupe la relation. Il ne doit plus avoir de prise, jamais.
Je me réinvestis dans un travail. Le divorce est enfin prononcé.
La tempête fut forte et a duré longtemps.
La blessure mettra du temps à se refermer mais j’y suis arrivée, aussi pour mes enfants.
Et je continue de chanter…
Alix.N
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