LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Prouvez-moi que vous êtes homosexuel.le

et → 6 mai 2020

70 pays du monde considèrent l’homosexualité comme un délit ou un crime1, pouvant parfois être passible de la peine de mort. C’est sans compter les pays dans lesquels les homosexuel.le.s sont persécuté.e.s, non pas par l’État, mais par leur communauté – notamment familiale, ethnique ou encore religieuse – sans pouvoir trouver de protection effective de la part des autorités.

L’unique espoir pour ces personnes se trouve dans l’exil afin de bénéficier enfin d’une protection et d’une garantie du respect de leur vie privée.

Ce n’est qu’en 2002 que le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) a incité les États à accorder une protection aux personnes homosexuelles. En France, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) avait déjà reconnu en 1998 que les personnes homosexuelles craignant d’être persécutées constituaient un « groupe social  » leur permettant ainsi d’être protégées/admises au statut de réfugié.

Suffit-il de se revendiquer homosexuel.le pour obtenir le fameux sésame du droit d’asile ?

Non, bien au contraire, le parcours est sinueux car il faut le prouver. Qu’importe la méthode, les demandeur.se.s se trouveront contraint.e.s de dévoiler leurs vies intimes aux autorités du pays d’accueil.

Alors, comment faire ?

Les États se sont montrés ingénieux lorsqu’il s’agissait de s’assurer de l’orientation sexuelle du/de la requérant.e. Pour illustration, le controversé test phallométrique a été proposé aux demandeur.se.s d’asile en 2010 par la République Tchèque.

Ce test, initialement conçu pour évaluer les « prédateurs sexuels », consiste à mesurer le sexe en érection de l’homme alors qu’il visionne des vidéos pornographiques. Choquant ? Cela ne l’était pas pour les autorités tchèques.

Au regard de la complexité de l’enquête, et face aux potentielles dérives des États, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a tenté d’orienter les pays membres.

Les juges européens rappellent qu’un principe fondamental doit guider l’instruction des demandes d’asile : le respect de la dignité humaine.

La jurisprudence de la CJUE est claire : les tests projectifs de personnalité, les photos intimes, les tests phallométriques ou encore les interrogatoires intrusifs sur les pratiques sexuelles du/de la demandeur.se d’asile sont « humiliants et dégradants » et ne respectent pas les droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Dès lors, les institutions étatiques se trouvent face à un exercice difficile : interroger l’intimité d’une personne tout en respectant sa dignité.

Mais du côté du/de la demandeur.se, l’exercice s’avère encore plus difficile et traumatisant.

Les exilé.e.s forcé.e.s sont souvent victimes de syndromes de stress psychotraumatiques (à ce sujet, lire l’article Entretien croisé : la difficile préparation des exilés (2/5) ). Verbaliser son vécu traumatique devient difficile, d’autant plus que l’accès aux soins mentaux nécessaires est mis à mal par la législation (à ce sujet, lire l’article Cumul de traumatismes sans ordonnance). Les instances attendent un récit détaillé, précis et crédible, alors même qu’un événement traumatique est souvent difficile à restituer.

Pour les demandes d’asile fondées sur l’orientation sexuelle particulièrement, raconter son intimité aux institutions étatiques impose un « coming out » nécessaire mais forcé pour pouvoir être reconnu réfugié. Or le.la demandeur.se d’asile doit se sentir suffisamment en confiance pour pouvoir parler de son orientation sexuelle, ce qui n’est pas toujours évident quand il.elle a été traumatisé.e dans son pays en raison, justement, de cette orientation.

Et en France, comment ça se passe ?

Conscient de la vulnérabilité de ces demandeur.se.s, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a mis en place un groupe de travail sur l’homosexualité. Les officier.e.s de protection peuvent s’y référer afin de les guider dans le déroulement de l’entretien du/de la demandeur.se.

Toujours est-il que le.a demandeur.se doit être disposé.e à répondre à des questions auxquelles tout un chacun aurait probablement du mal à répondre de façon précise,  spontanée et développée, ce qui est pourtant exigé par les institutions. « A quel âge avez-vous eu votre première relation sexuelle », « quel est votre plus beau souvenir avec votre conjoint.e » ,« qu’est-ce qui vous plaisez chez lui/elle ? » sont autant de questions que l’on peut lire dans les comptes rendus d’entretien.

Par ailleurs, les exilé.e.s se trouvent confrontés aux préjugés. Ils.elles ne correspondent pas aux stéréotypes homosexuels encore trop présents chez les juges et dénoncés par la CJUE. Lorsque l’on sait que certains juges de tribunaux administratifs français tiennent publiquement des propos racistes sur les réseaux sociaux, nous pouvons rester inquiets quant à leur ouverture d’esprit de certain.e.s concernant l’orientation sexuelle2..

Les craintes de persécutions sont-elles vraiment terminées une fois arrivé en France ?

Malheureusement, en raison des défaillances de l’État français en matière d’accueil, dénoncées régulièrement par les associations et même le Défenseur des droitsles demandeur.se.s d’asile sont soumis.e.s à un retour aux persécuteur.rice.s.

Face à l’inadaptation du dispositif national d’accueil et faute d’hébergements disponibles (à ce sujet, lire l’article Entretien croisé : premiers instants des exilés en France (1/5)), l’exilé.e va naturellement d’abord s’orienter vers sa communauté en raison de la proximité linguistique notamment, mais aussi d’une certaine « solidarité nationale ». Cette communauté qui l’a déjà sans doute persécuté.e… Cacher son orientation sexuelle est encore un effort à fournir.

Même lorsqu’une place d’hébergement est disponible, elle est souvent en cohabitation avec d’autres demandeur.se.s d’asile issu.e.s de communautés dans lesquelles l’homophobie reste la norme.

Malchance de plus, les appartements mis à disposition pour les demandeur.se.s d’asile se trouvent majoritairement dans des quartiers précarisés. Considérant que les actes homophobes violents sont davantage répertoriés dans ces zones,le combat des exilé.e.s homosexuel.le.s pour enfin vivre librement n’est pas terminé.

Le parcours des homosexuel.le.s en demande de protection est donc semé d’obstacles, qui ne pourront être levés que par une politique d’accueil des demandeur.se.s d’asile adaptée et d’un combat contre l’homophobie à mener au sein des communautés.

© Illustration de 

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