LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Cumul de traumatismes sans ordonnance

Mélanie Marcos, juriste en droit d'asile, et Myriam Kebaili, psychologue clinicienne, reviennent sur le difficile accès aux soins en santé mentale des personnes exilé.e.s pour mieux comprendre les enjeux qui en découlent.

, et → 29 avril 2020

La santé mentale des personnes exilé.e.s ne bénéficie pas d’une place prépondérante dans le débat des politiques publiques, pourtant, cela constitue un enjeu de santé publique majeur.

En effet, les demandeur.se.s d’asile représentent un public particulièrement fragile d’un point de vue psychologique à la vue de leurs parcours de vie jalonnés d’événements traumatiques tant dans leur pays d’origine qui est souvent la raison de leur départ (discrimination, violence, torture, guerre, catastrophe naturelle), qu’au cours de leur long parcours migratoire (condition de vie précaire, perte de proches, viol, danger, violence physique).

© Mā

Ainsi, les troubles psychiques les plus courants chez les demandeur.se.s d’asile sont les syndromes psycho-traumatiques qui englobent :

le syndrome de reviviscence : le fait de revivre de manière répétitive la scène traumatique avec des cauchemars, des flash-back, ou par des éléments déclencheurs tels que des odeurs, des bruits ou des images.

le syndrome d’évitement : consiste à éviter tout ce qui se rapporte au traumatisme comme des lieux, des sujets de conversations, des affects, des activités, et conduit généralement à un repli sur soi et à un isolement.

le syndrome d’hyperactivité neuro-végétative : désigne un état d’hypervigilance qui se traduit par une grande nervosité, des insomnies, un état d’angoisse et de stress permanent, une hypersensibilité, un trouble de l’attention.

les symptômes dissociatifs : correspondent à une perte de conscience de l’environnement réel, une amnésie dissociative, une déréalisation voire une dépersonnalisation (le sentiment d’être devenu un observateur de son propre fonctionnement mental ou de son propre corps).

Or, sans prise en charge psychologique ces troubles peuvent s’installer durablement et ont un retentissement significatif sur la vie quotidienne.

De plus, à l’arrivée en France la plupart des exilé.e.s se trouvent dans une très grande précarité sociale qui, non seulement renforce ces troubles, mais en crée aussi de nouveaux. Assurément, le récit de leur histoire à une administration, ainsi qu’un possible rejet de leur demande du statut de réfugié peuvent constituer un cumul de traumatismes.

L’accès au statut de réfugié en France impose au/à la demandeur.se d’asile de restituer son récit de vie en des propos détaillés et circonstanciés aux instances étatiques en charge d’examiner les demandes. Force est de constater que celles-ci ne prennent pas en compte ces syndromes. Les motifs énoncés dans les décisions de rejets sont les suivants : « propos convenus », « dénués de sentiment vécu », ou encore « termes évasifs ou vagues ».

L’accès aux soins mentaux est impératif pour atteindre le niveau de précision nécessaire à l’obtention d’une protection internationale. Malheureusement, la législation française y est défavorable.

En effet, l’État français ne veut plus considérer que les demandeur.se.s d’asile sont une population ayant particulièrement besoin de soins. L’ancienne législation prévoyait une exception au délai de carence de 3 mois imposé à tout étranger en France pour pouvoir bénéficier du régime de l’assurance maladie. Mais depuis décembre 2019, un nouveau décret supprime cette exception.

De plus, cette nouvelle disposition limite l’accès à une autorisation de séjour pour soins, car la réforme du droit d’asile de 2018 impose un délai de 3 mois à compter du dépôt de la demande d’asile pour demander un titre de séjour pour soins. Cela ne peut se réaliser que par intervention d’un médecin auquel n’a pas accès le.a demandeur.se dans ce délai imparti.

En outre, comme le signalent plusieurs associations, ces nouvelles dispositions semblent contraires aux directives de l’Union européenne qui prévoient « le traitement essentiel des maladies et troubles mentaux graves » des demandeur.se.s d’asile. Par ailleurs, en raison de la défaillance du dispositif national d’accueil français, la précarité sociale et économique dans laquelle se trouvent les exilé.e.s les conduit naturellement à prioriser leur situation sanitaire et à porter leur état psychologique au second plan.

Ces obstacles à l’accès aux soins mentaux s’inscrivent également dans une politique de réduction des délais de traitement des demandes d’asile par les autorités compétentes, depuis la réforme du droit d’asile de 20181

En l’absence d’accès effectif aux soins mentaux, les rejets des demandes d’asile seront de plus en plus probables. Ces législations défavorables condamnent alors les exilé.e.s forcé.e.s à un nouveau traumatisme : celui du rejet de la demande d’asile qui les oblige à continuer leur errance, sans droit de séjour. En outre, la difficulté d’accès aux soins psychologiques, globalement saturés et sans interprétariat, constitue pour les demandeur.se.s d’asile, généralement non francophones, une dénégation de leur identité, de leur parcours de vie et représente une urgence sanitaire primordiale.

© Illustration de 

 

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