LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

« LES PETITES BONNES » AU MAROC : DE L’ESCLAVAGE MODERNE ?

Y a-t-il encore des esclaves au 21ème siècle ? Le travail domestique peu ou pas rémunéré et réalisé dans des conditions abusives est encore une réalité aujourd’hui.

et → 26 septembre 2018

L’esclavage a été une pratique admise partout dans le monde jusqu’à son abolition à partir du 19ème siècle. Aujourd’hui, en théorie, l’esclavage est illégal dans tous les pays de la planète, mais malheureusement en pratique il existe toujours sous différentes formes. Parmi ces cas d’esclavage moderne, on trouve la situation des « petites bonnes » au Maroc.

Ça veut dire quoi être une « petite bonne » ?

Ce terme français, péjoratif, désigne le phénomène des travailleuses domestiques mineures au Maroc. Ces jeunes filles sont parfois même des fillettes dont l’âge ne dépasse pas 6 ou 7 ans. Elles sont chargées de faire les courses, faire à manger plusieurs fois par jour, nettoyer la maison et les jardins, prendre soin des enfants, des personnes âgées, etc. Dans la grande majorité des cas, les filles viennent de zones rurales et pauvres, où les familles n’ont pas les moyens de soutenir tous leurs membres.

Tenant compte de la division genrée des rôles sociaux, les filles sont placées dans une situation légale et sociale d’infériorité (par exemple, leurs parts d’héritage représentent la moitié de celles de leurs frères). Elles sont ainsi les premières que l’on sacrifie pour trouver des sources de revenus complémentaires en les envoyant travailler comme domestique dans des grandes villes comme Rabat, Casablanca ou Marrakech.

© Illustration de Paul Beaudenuit

Ce phénomène, qui touche uniquement les femmes, a des racines socio-économiques très fortes. La plupart des filles en milieu rural ne sont pas scolarisées et sont issues de régions très pauvres avec des taux de chômage très élevés. Pour les parents, envoyer les filles comme travailleuses domestiques chez des familles plus aisées en ville est considéré « légitime » afin, d’une part, de se décharger du fardeau de subvenir à leurs besoins, et d’autre part, d’avoir un revenu supplémentaire.

Travailler dans les foyers des autres devient donc une « opportunité », car l’analphabétisme des petites filles – résultant de leur exclusion de la scolarisation – limite l’horizon des opportunités à leur disposition.  Mais cette réalité cache des situations normalisées d’abus contre les travailleuses domestiques au Maroc, qui commencent par la discrimination profonde dont elles font l’objet, les rendant invisibles aux yeux de la société.

Aussi, le modèle économique des grandes villes marocaines favorise l’accroissement de la  demande de travailleuses domestiques car les femmes travaillent en dehors de la maison et cela bouleverse la division sexuelle traditionnelle du travail domestique. Elles ont alors besoin d’être remplacées pour effectuer les tâches domestiques quotidiennes. Ainsi, des familles en ville, pour la plupart de « classe moyenne », se retrouvent exploitatrices de « petites bonnes » dans l’ordre normal des choses.

Dès qu’elles arrivent en ville chez leurs employeurs, les filles subissent très souvent des conditions de travail et de vie dégradantes. D’après le témoignage de victimes osant parler de leur situation ou des ONG luttant pour leurs droits, de nombreuses fillettes sont battues, empêchées d’aller à l’école, privées de nourriture et parfois même violées. Certaines jeunes filles travaillent comme domestiques plus de douze heures par jour, sept jours par semaine, pour à peine 10 euros par mois. La violence devient un quotidien sans échappatoire pour ces filles qui se voient confisquer leur pièce d’identité et à qui on interdit de prendre contact avec leur famille.

 

Le travail des mineurs dans la loi

© Illustration de Paul Beaudenuit

En plus d’être invisibles aux yeux de la société, elles sont aussi oubliées par les lois : jusqu’en 2016, elles étaient exclues du Code du travail. Ces femmes venues de la campagne n’avaient pas de droits légaux en termes de salaire minimum, d’horaires de travail, ni de jours de repos. Même si elles étaient sous-payées et surexploitées, leurs employeurs ne risquaient rien.

En 2016, le Parlement marocain a adopté une loi donnant pour la première fois un cadre juridique aux travailleuses domestiques. Cette loi n’est toujours pas en vigueur et fixe une période transitoire de cinq ans ; elle 1:

Pourtant cette loi est incomplète puisqu’elle ne présente pas de garanties, en raison de l’absence de dispositif pour l’accompagnement des mineurs, pour leur réinsertion ou encore pour l’identification des familles. De plus, les inspecteurs du travail ne sont pas autorisés à enquêter à domicile car le domicile est inviolable.

Il est impossible de trouver des chiffres officiels ou précis afin de mesurer le nombre de fillettes, jeunes filles et femmes affectées par cette problématique. Mais selon une étude faite en 2010 par l’Insaf (Institut national de solidarité avec les femmes en détresse) – collectif regroupant des ONG marocaines qui s’opposent, entre autres, au travail des filles mineures – on comptait au Maroc entre 66 000 et 80 000 « petites bonnes » âgées de moins de 15 ans.

En 2016, le Haut-Commissariat au plan (HCP) estimait à 193 000 les enfants de 7 à 17 ans exerçant un travail dangereux, dont 42 000 filles. Pourtant, la loi ne prévoit rien pour les enfants de moins de 16 ans. Ce cadre conduit à ce qu’une telle forme d’esclavage existe encore aujourd’hui en 2018 au Maroc. Alors même que cela va à l’encontre des engagements internationaux du pays en matière de protection des enfants et de travail des mineurs.

 

Ainsi, l’esclavage n’est pas une pratique du passé. Pire encore, une grande partie des victimes d’esclavage moderne sont des enfants, tant dans les pays en développement que dans les pays développés. L’ONU et l’OIT (Organisation internationale du Travail) estiment que l’esclavage moderne génère des bénéfices annuels illégaux d’environ 150 milliards de dollars par an.   

© Illustrations Paul Baudenuit

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