Aida Ferreiro et Giada Ganassin → 13 juin 2018
Droits sexuels et reproductifs
On parle de quoi ? On parle du droit à l’avortement et du droit pour une femme de disposer librement de son corps. Il s’agit d’une liberté fondamentale et donc d’un droit humain.
Un avortement est, par définition dans le règne animal, l’interruption du processus de gestation avant son terme. L’interruption volontaire d’une grossesse chez une femme par intervention humaine peut prendre plusieurs formes/dénominations :
– IMG (Interruption médicale de grossesse) lorsqu’elle est motivée par des raisons médicales (grossesse dangereuse pour la santé de la femme, embryon atteint de malformations…) ;
– IVG (Interruption volontaire de grossesse), dans un cadre légal, lorsqu’elle est décidée pour des raisons non médicales ;
– avortement clandestin, lorsque l’IVG est pratiquée en dehors des conditions fixées par la loi ;
– fausse couche, si l’avortement est spontané ou provoqué par une cause soit pathologique soit accidentelle.
Au niveau international, le premier texte contraignant concernant le libre choix pour une femme de disposer de son corps a été la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes1. Les droits sexuels et reproductifs des femmes sont des droits fondamentaux2 et ils comprennent le droit d’être maîtresses de leur sexualité, y compris leur santé en matière de sexualité et de procréation, étant libres de prendre des décisions dans ce domaine. Pourtant, les pays n’adoptent pas forcément des lois en accord avec ces textes internationaux, et parmi les zones les plus violents de déni de ces droits sexuels et reproductifs des femmes, on trouve la région de l’Amérique latine.
Prison pour meurtre
Le dernier rapport d’Amnesty Internationale (janvier 2018) comptabilise encore sept pays dans le monde où l’interdiction totale de l’avortement est maintenue, et ce, même lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la fille encore enceinte était en danger. Six de ces pays se trouvent dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes3.
C’est le cas du Salvador, où une femme ayant fait une fausse couche en 2007 avait été condamnée à 30 ans de prison pour homicide. Elle a finalement été libérée après une décision de la Cour Suprême salvadorienne en février 2018 pour manque de preuve. En effet, le code pénal salvadorien prévoit une peine de deux à huit ans de prison pour les cas d’avortement, mais dans ce cas-là, les juges avaient considéré la perte du bébé comme un homicide aggravé (délit puni de 30 à 50 ans de prison). Aujourd’hui, une vingtaine de femmes sont encore emprisonnées pour avoir accouchée un bébé mort-né.
Cependant, ailleurs, même lorsqu’il est légal, la plupart des professionnels de santé dans les établissements publics refusent de pratiquer l’avortement pour des raisons idéologiques. Cette situation provoque le recours à des cliniques privées pour les femmes qui peuvent se le permettre financièrement, mais les autres n’ont d’autre choix que de recourir à des avortements clandestins, pratiqués dans des conditions très précaires. C’est par exemple le cas en Uruguay, où l’avortement a été légalisé en 2012 mais où les médecins du service public se sont déclarés
« objecteurs de conscience » en refusant de pratiquer l’avortement du fait de leurs convictions.
Par ailleurs, d’autres pays autorisant aussi l’avortement, le font sous des conditions très restrictives. Alors que seuls l’Uruguay, le Guyana, Cuba et la ville de Mexico l’autorisent librement (sur papier du moins), l’avortement reste considéré comme un crime dans la plupart des pays latino-américains. Ainsi, au Brésil, l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol, de mise en danger de la mère et de malformation grave du cerveau du fœtus. Dans tous les autres cas, l’avortement est interdit et celles qui enfreignent la loi risquent jusqu’à quatre ans de prison. Au Paraguay, une femme ne peut avorter qu’en cas de viol ou mise en danger grave de la mère. Quant au Panama, à l’Argentine, à la Colombie ou plus récemment le Chili, ils font partie aussi des pays où l’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol ou quand il existe un risque pour la survie de la mère. Hors de ces « exceptions », les femmes ayant avorté risquent également la prison.
L’influence de la religion
Depuis quelque temps, la tendance dans la région est de donner la priorité au fœtus. « La mort d’un être humain en gestation » est la vision que maintiennent des pays comme la Bolivie, qui punit de deux à six ans de prison toute personne provoquant cette « mort ». Dans certains cas, la législation est plus avancée que la pratique sociale et les femmes doivent affronter d’autres obstacles comme l’influence de l’Église (catholique et évangéliste) sur les gouvernements et la société en général. Parmi beaucoup d’autres, le Brésil est entré en confrontation avec l’Église catholique en 2009 lorsqu’un archevêque a excommunié les médecins qui ont interrompu la grossesse d’une fille de neuf ans victime d’un viol.
Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans les pays où l’avortement est légal et où les conditions sanitaires sont adéquates, seulement 1 femme sur 10 000 meurt. En revanche, le risque de mourir d’un avortement clandestin est d’environ 350 pour 100 000 femmes. L’OMS estime que chaque année, 68 000 femmes meurent en avortant clandestinement, et spécifiquement en Amérique latine, où 3 avortements sur 4 sont pratiqués dans des conditions dangereuses.
Il ne s’agit pas seulement d’éviter des avortements à risque mais aussi de rappeler l’obligation des État de protéger la santé et surtout les droits des femmes. La promotion de la liberté et de la santé publique devraient passer par le droit des femmes à disposer de leur corps. L’avortement n’est ni un crime ni un délit, mais un droit.
© Illustration de Giada Ganassin
Aida Ferreiro et Giada Ganassin
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