Maëlys Amelin et Flo Love → 23 mai 2018
Parce que l’idée même d’être contraint à vivre sur un trottoir, dans un couloir de métro ou dans un aéroport dans le Paris du XXIème siècle – où les Velib’ sont maintenant électriques – a de quoi choquer. C’est aussi le constat d’une défaillance de l’État par rapport à ce qui devrait être un droit fondamental : le droit au logement.
Le logement, le cadre de vie d’un foyer, ce n’est pas simplement quatre murs et un toit.
Dans le droit international comme dans le droit français, l’idée de logement fait référence à certains standards de qualité de vie. La qualité de ce logement et son emplacement dans son environnement (desservi par les transports, par des routes, raccordé aux réseaux d’eau et d’électricité) sont essentiels car ils garantissent des conditions de vie dignes pour tous les êtres humains, on parle aussi de droits économiques, sociaux et culturels.
Se voir garantir un logement c’est aussi accéder au domicile : un lieu où une personne réside en permanence et dispose d’une adresse pour effectuer, notamment, toutes ses démarches administratives. Ce domicile est une composante de l’identité et du droit à la vie privée.
La salubrité d’un logement, sa taille, son emplacement ou son équipement ont des conséquences directes sur l’hygiène, la santé, l’éducation (comment faire ses devoirs ou réviser le soir sans
électricité ?), la capacité à travailler ou à suivre un apprentissage (comment être opérationnelle la journée si je n’ai pas d’endroit où me reposer ?), ou encore son état psychologique (comment ne pas souffrir de la promiscuité lorsque l’on vit à six personnes dans 25m² ?).
Selon le rapport de janvier 2018 de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal logement en France, 4 millions de personnes restent mal logées ou privées de domicile.
Selon ce même rapport, l’Insee estime que 2,7 millions de ménages vivent encore dans un logement surpeuplé en 2013, soit 8,5 % des ménages.
Pourtant, la Constitution française est en principe très claire sur le droit au logement :
« 10. La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
11. Elle garantit à tous (…) la sécurité matérielle (…). Tout être humain qui, en raison de son âge, de son État physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Le droit au logement fait aussi partie des droits déclarés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 :
« Article 25 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement (…). »
L’accès au logement est donc un droit (et non un luxe). Ce droit doit être garanti par l’État (la « Nation » : le ministère approprié, la région, le département).
Le premier pas a été fait en France en 1956 avec la trêve hivernale qui interdit « toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er décembre de chaque année jusqu’au 15 mars de l’année suivante ».
Mais ce n’est que tardivement que le droit au logement a été reconnu, avec la loi de 1990 : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. » (article 1).
Les débuts d’une réglementation protectrice dans le cadre de l’expulsion d’un logement n’apparaissent quant à eux qu’en 1998, avec une loi qui consacre le droit au logement comme un droit fondamental.
La législation française a ensuite proposé un droit au logement opposable en 2007 (dite loi DALO).
C’est quoi le droit au logement opposable ? Il s’agit de permettre à des personnes en difficultés, reconnues prioritaires pour l’attribution d’un logement social et qui ne se voient pas proposer de logement dans des délais raisonnables1, de faire valoir leur droit au logement devant un juge. Le juge peut alors condamner l’État à payer une somme d’argent tant que ces personnes ne sont pas logées.
L’article 4 de la loi de 2007 énonce aussi le « principe de continuité de la prise en charge » : une personne hébergée dans un centre d’hébergement d’urgence doit pouvoir y rester tant que ne lui est pas proposée une solution durable. C’est le résultat d’une vaste campagne de sensibilisation et de plaidoyer des associations comme Les enfants de Don Quichotte ou la Fondation Abbé Pierre.
S’il s’agit d’une nette avancée dans le droit au logement en France, cette nouvelle loi, toujours d’actualité, a ses faiblesses. Elle ne protège pas les personnes comme les étrangers en situation irrégulière, tandis qu’une part importante de sans-abris est constituée de sans-papier. En outre, la procédure possible devant un juge, tant pour se voir attribuer un logement que pour contester une expulsion, peut s’avérer laborieuse pour une personne précaire. Les juristes et associations spécialisés avaient d’ailleurs critiqué la complexité du texte de cette loi et il est nécessaire d’être accompagné dans ces démarches pour s’y retrouver !
La loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion organise l’accueil inconditionnel d’urgence pour les personnes en situation de « détresse médicale, psychique ou sociale » et a aussi cherché à augmenter la construction et la mise à disposition de logements sociaux.
L’accès au droit au logement effectif repose sur plusieurs éléments :
- des conditions juridiques : encadrer le rapport entre un individu et son logement et offrir des garanties (la signature du bail, la procédure d’expulsion, l’accès inconditionnel à un logement même en situation de précarité, etc.) à travers les lois mentionnées ci-dessus ;
- des conditions matérielles : l’existence d’un marché de logements accessibles et décents. Pour ce faire, les pouvoirs publics peuvent être amenés à soutenir financièrement la construction de logements sociaux (comme les HLM2), à proposer des solutions sur les logements déjà existants (exemple de l’encadrement des loyers), ou à rendre obligatoires des normes d’habitat (une installation électrique sécurisée, une meilleure isolation au froid, etc.) ;
- des services adaptés à chacun, en fonction de sa vulnérabilité. L’État a pour mission d’offrir un accompagnement à ceux qui se trouvent privés de logement ou d’un logement décent et de les orienter vers les services les plus appropriés.
Force est de constater que ce droit pourtant si élémentaire souffre d’une difficile application, lorsqu’il n’est pas directement menacé.
En ce qui concerne la construction de logements sociaux par exemple, de nombreuses communes préfèrent encore payer une forte amende que de se résoudre à accueillir la construction de HLM3.
Autre exemple récent, les associations ont vivement critiqué la volonté du ministère de l’Intérieur d’instaurer un recensement dans les centres d’hébergement d’urgence afin d’identifier les sans-papier pour « un dispositif de suivi administratif robuste » des personnes étrangères afin de « veiller à une orientation adaptée »4. Ces mêmes associations doivent encore veiller aujourd’hui au respect du caractère inconditionnel du logement d’urgence.
S’il est facile de penser que l’accès à un logement décent pour tous, sans discrimination, relève d’un agenda politique, c’est oublier ce que dit le droit international et national : l’accès au logement est un droit humain qui doit être garanti pour tous.
© Illustrations par Flo Love.
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