LES ARTISAN·E·S DES DROITS HUMAINS

Réformer le travail pour plus d’inégalités ?

Le Président de la République modifie cette année le code du travail par ordonnances.
Quel sera l’impact de ces changements sur l’égalité entre les employés ?

et → 15 novembre 2017

Pour en savoir plus sur les ordonnances du 22 septembre 2017 sans avoir besoin d’anti-migraine, c’est ici.

Pour assurer le respect les droits humains, tels qu’ils sont notamment repris dans la Constitution française, le code du travail doit respecter les garanties qu’offre une République « sociale »1 qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens.

Petit rappel nécessaire : le contenu même de la loi doit assurer l’égalité et la loi doit s’appliquer de la même façon pour tous. Et la réforme du code du travail dans tout ça ?

 

1. La primauté de l’accord d’entreprise

Cette pyramide des normes rappelle que chaque norme doit respecter la norme supérieure, conformément au principe de légalité. La réforme du code du travail bouleverse cette hiérarchie des normes dans certains cas particuliers : la négociation des primes ou d’un 13ème mois par exemple. Explications…

La réforme de septembre 2017 a instauré la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche : sur plusieurs aspects particuliers du travail, ce qui est décidé au sein de l’entreprise prime sur ce qui est décidé au sein de la branche. Une branche correspond à un secteur spécifique, comme le secteur bancaire, la restauration collective ou la métallurgie. Chaque branche regroupe plusieurs entreprises du même secteur d’activité.
La situation de chaque employé dépend donc de plus en plus de ce qui est négocié à une plus petite échelle (c’est-à-dire en entreprise), ce qui pourrait créer de fortes disparités entre employés travaillant pourtant dans le même secteur d’activité.

Sur les salaires minimaux, l’égalité homme-femme ou encore la durée ou le renouvellement de la période d’essai, l’accord d’entreprise doit être « au moins équivalent » aux  accords de branche ; et les accords de branche ne peuvent pas être moins favorables que le code du travail : jusqu’ici tout va bien.

Pour les questions de prévention de la pénibilité au travail2 et de l’emploi des travailleurs handicapés : le sujet revient à l’entreprise, sauf si les branches décident d’en garder la négociation. La hiérarchie des normes doit être respectée.

Dans certains cas tels que les primes d’ancienneté, le 13ème mois, les jours de congés de type « enfant malade » ou « jour supplémentaire post-congé maternité légal », l’accord d’entreprise a la priorité, même s’il est moins favorable que l’accord de branche. En clair : la pyramide des normes rappelée plus haut n’est plus complètement respectée. Exemple concret : les primes de certains employés peuvent être revues à la baisse dans une entreprise alors que la branche ne le prévoit pas.
Notons quand même que les accords d’entreprise ne peuvent pas être moins favorables que le droit minimum prévu par le code du travail. Le droit du travail a cependant une portée plus générale et ne va pas jusqu’à préciser le montant de ces primes.

En cas de refus de l’accord d’entreprise parce qu’il modifie son contrat de travail de façon défavorable (exemples : baisse de sa prime, renégociation à la baisse des jours de congés de type « enfant malade »), l’employé sera licencié pour « une cause réelle et sérieuse ».
Avant la réforme, il aurait été licencié pour des motifs spécifiques différents qui ouvraient davantage de droits. A présent, l’employé licencié peut toucher l’assurance-chômage et bénéficie d’un droit à la formation, mais pas de l’accompagnement prévu pour les licenciés économiques.

Le principe d’égalité est mis à mal : dans un même secteur (ou une même branche), l’employé peut être défavorisé ou favorisé vis-à-vis d’un autre employé, simplement parce qu’il fait partie d’une entreprise spécifique.

2. Télétravail

Point positif, depuis la fin du mois de septembre, les télétravailleurs bénéficient d’un traitement plus égalitaire. Leur situation, auparavant traitée au cas par cas, est maintenant encadrée par la loi. Si l’employeur refuse la demande de télétravail de son salarié, il doit justifier ce refus et le recours au travail à distance pourra se faire ponctuellement.

3. Contrats à durée déterminée (CDD)

Avant la réforme, les CDD ne pouvaient être renouvelés que deux fois dans un délai maximum de dix-huit mois (les délais « d’attente » entre deux CDD étaient aussi encadrés par la loi). Après accord à venir du Conseil d’État3, ces critères encadrant le CDD pourront être fixés par les branches professionnelles. Ainsi, en fonction de son secteur de travail et des décisions prises au sein de sa branche, l’employé peut être amené à multiplier les CDD, et ce sur une période plus longue.
Il s’agit là d’une forme d’inégalité entre branches.
L’utilisation à répétition du CDD incarnerait, par essence, plus de précarité pour l’employé : peu de visibilité à long terme et de l’incertitude sur le renouvellement de son contrat.

4. Multinationale et licenciements économiques

Enfin et depuis fin septembre, les difficultés économiques d’une entreprise multinationale dont la filiale prévoit des licenciements en France seront analysées sur une échelle nationale et non plus internationale. Si une entreprise installée en France et en Inde se porte bien en Inde mais mal en France, sa seule situation sur le territoire français suffit à justifier des licenciements économiques en France. Auparavant, la santé de l’entreprise était analysée au niveau international.
Du seul point de vue de l’égalité de traitement, ce changement signifie que tous les employés travaillant sur le territoire français, que ce soit dans une multinationale ou dans une entreprise nationale, verraient leur licenciement économique justifié sur le même argument : la situation économique de leur entreprise en France. Cette mesure est polémique car beaucoup craignent que les licenciements soient facilités en France pour des entreprises qui, à l’étranger, se portent pourtant très bien. Toutefois et d’un point de vue du droit, cette mesure implique davantage d’égalité.

 

On peut concevoir l’ensemble des règles régissant les relations entre employés et employeurs comme un thermomètre évaluant le degré de protection de l’employé.
Entre la minimale et la maximale, l’employeur doit également disposer de garanties : l’employé remplira ses obligations de travail et, dans le cas contraire, des sanctions peuvent être prises.
En France, si le « climat travail » est particulièrement clément en comparaison avec le reste du monde, la réforme du code du travail réalisée en septembre 2017 a fait baisser la température ambiante de quelques degrés. Pourquoi ? Car le droit du travail est par essence, sujet aux problématiques économiques du moment et victime des successions de mandats présidentiels et des agendas politiques.
Il s’agit aujourd’hui de s’assurer que cette réforme ne menace pas la République « démocratique et sociale » telle qu’elle est présentée dans notre constitution et que cette nouvelle  « flexibilité » sera équilibrée par une sécurité nécessaire pour les employés dans les branches et entreprises plus sujettes à la précarité.

© Illustrations William Jay

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