Xavière Prugnard et William Jay → 11 octobre 2017
L’État de droit est un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit, et ce, pour protéger la liberté et les droits fondamentaux des individus. En d’autres termes, il s’agit d’encadrer l’action des autorités afin de mieux protéger les citoyens. Cette doctrine – venant d’Allemagne (Rechtsstaat en allemand) – a principalement été théorisée par le juriste autrichien Hans Kelsen. Selon lui, l’État de droit ne peut se réaliser que si trois conditions sont pleinement respectées : le respect de la hiérarchie des normes1 ; l’égalité devant le droit ; et l’indépendance de la justice.
1. Le respect de la hiérarchie des normes
Comme on peut le voir sur cette pyramide kelsenienne revisitée par William Jay :
- Le bloc constitutionnel est au sommet de la pyramide. En France, il se compose de la Constitution de 1958 (actuellement en vigueur), de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, de la Charte de l’environnement de 2004 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (libertés d’association, de conscience, etc.).
- Viennent ensuite les engagements internationaux (comme ceux dans le cadre de l’Union européenne ou de l’Organisation des Nations unies),
- la loi,
- les règlements,
- les actes administratifs (pris par les ministères, les préfet.e.s et les maires) et enfin les contrats conclus entre les personnes privées.
Toutes les personnes physiques (comme vous et moi) et personnes morales (comme l’État ou les entreprises) sont soumises à cet ordre juridique.
De cette hiérarchie pyramidale, nous tirons le principe de légalité selon lequel toutes normes ou décisions prises par l’État se doivent d’être conformes à celles qui leur sont supérieures : c’est-à-dire conformes à la loi au sens général. Si tel n’est pas le cas, l’État pourra se faire sanctionner par la justice. Deux outils sont à notre disposition pour vérifier si les textes sont bien conformes à la constitution et aux conventions internationales : le contrôle de constitutionnalité2 et le contrôle de conventionnalité3.
2. L’égalité devant le droit
Cette possibilité de contester devant la justice l’application d’une norme en raison de son inconstitutionnalité sous-entend l’égalité entre toutes les personnes physiques (comme vous et moi) et morales (comme une entreprise ou une association) devant le droit. Ainsi, l’État est soumis aux mêmes règles que les particuliers et doit conditionner son action au respect de l’ensemble des normes juridiques supérieures (constitution, conventions internationales et lois). L’État peut donc se voir opposer des normes qu’il a lui-même édictées, c’est-à-dire que s’il produit une règle inconstitutionnelle, les autres personnes pourront la contester en vertu du principe de légalité.
C’est ce qu’il s’est passé durant l’été 2016 où certains maires (représentants de l’État) avaient émis des arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages. Le Conseil d’État (juridiction administrative suprême) avait alors invalidé cette série d’arrêtés municipaux au motif qu’ils portaient « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ».
3. L’indépendance de la justice
On comprend ainsi aisément pourquoi l’État de droit suppose une stricte indépendance de la justice car c’est aux juridictions que revient la tâche de faire respecter en pratique cet État de droit et ses principes de légalité et d’égalité qui le sous-tendent. La justice doit pouvoir être rendue en toute impartialité alors même qu’elle fait partie intégrante de l’État. C’est ici que la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu prend tout son sens. Mise en œuvre dans la majorité des démocraties occidentales, elle énonce la distinction entre les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cette distinction permet alors leur limitation mutuelle. En France, nous sommes dans une démocratie libérale où le législatif (le parlement) a pour mission de voter les lois et de contrôler l’action de l’exécutif (le gouvernement), lequel doit agir en toute légalité sous peine de se faire sanctionner par l’autorité judiciaire (la justice).
Au final, l’État de droit ça sert à quoi ?
Il sert à mesurer le degré démocratique d’un régime politique, plutôt important pour une notion abstraite non ? Par exemple, la Grèce, l’Espagne et le Portugal avaient dû attendre d’être des démocraties pour négocier leur entrée dans la Communauté économique européenne (CEE, devenue l’Union européenne en 1993) car ces pays ne remplissaient pas la condition requise d’être un État de droit4.
Mais revenons à aujourd’hui. En France, le monde universitaire, les professionnel.e.s du droit, les associations de défense des droits humains et les expert.e.s internationaux condamnent presque unanimement le projet de loi antiterroriste visant à introduire dans le droit commun les principales dispositions de l’état d’urgence. La raison ? Cette future loi saperait les fondements de notre État de droit. Faut-il réellement s’inquiéter ? (La réponse : ici !)
© Illustration de William Jay.
Xavière Prugnard et William Jay
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